

Les mentalités anciennes posaient la possibilité de signes qui permettaient de connaître la présence des morts ou leurs intentions. En effet, une croyance était autrefois dominante, en Pays cathare : les morts mécontents pouvaient avoir une influence funeste sur le cours des événements. En de rares moments (la Toussaint) ou au cours des rêves, il était possible à l’homme ordinaire de voir les esprits des morts ; en temps normal, cette fonction, nécessaire à la communauté, était dévolue à un personnage mystérieux, l’armier ou l’armassiès, dit aussi messager des âmes.
Plusieurs récits du XIXe et du XXe siècle évoquent le cortège des morts la nuit de la Toussaint. C’était une des rares occasions où les vivants pouvaient voir les morts de leurs yeux de chair. Dans des lieux où avaient eu lieu des massacres, les morts apparaissaient aux infortunés voyageurs à la date anniversaire de la tuerie.
Par ailleurs, les morts mécontents apparaissaient souvent en rêve, notamment aux petits enfants. Selon une croyance assez répandue, les convulsions qui prenaient les enfants (épilepsie ?) étaient l’expression du mécontentement des morts, pour lesquels il fallait alors dire des messes.
Les gens du commun disposaient donc de signes pour savoir si les morts étaient mécontents. Mais pour être sûrs de leur affaire, ils consultaient un spécialiste, l’armièr. Ce personnage était né le lendemain de la Toussaint et on le supposait doté du don de double vue : il voyait les morts, pouvait rentrer en contact avec eux et éventuellement connaître la cause de leur mécontentement.
Le plus connu de ces armièr est Arnaud Gélis, dit « Bouteiller », qui vivait au XIVe siècle à Pamiers et dont les dépositions figurent dans le registre d’inquisition de Jacques Fournier. D’une manière générale, on peut penser sans trop se tromper qu’il existe des armièrs au moins depuis la définition du purgatoire par l’Eglise (1274, concile de Lyon) : il devenait alors possible aux vivants, par des prières, de soulager les souffrances de morts. Bien sûr, on ne peut rien faire pour les damnés condamnés à l’enfer ! Dans les mentalités, le dogme du purgatoire nécessitait un personnage pour demander au vivant prières ou messe, et ce fut l’armièr.

L’au-delà selon Gélis.
Gélis, armièr du XIVe siècle, raconte que les morts entourent invisiblement les vivants : ils embrassent leurs parents qui dorment, les grand-mères décédées viennent veiller sur le sommeil de leurs enfants…La ségrégation sociale existe aussi dans l’au-delà : ainsi les riches dames mortes continuent à rouler en chariot et à se vêtir de soie. Les chevaliers sont encore à cheval.
Les morts disposent d’un corps plus beau que de leur vivant, mais ont perpétuellement froid, d’où leur proprension à se rapprocher des cheminées. Ils ont également un peu épicuriens, et vont visiter les caves pour boire du vin. Les fantômes sont condamnés à une mobilité perpétuelle, et doivent aller d’autant plus vite qu’ils ont péché : ainsi, les usuriers, les plus coupables, battent des records de vitesse ! Ce n’est que plus tard, qu’une fois leur expiation faite, que les morts pourront atteindre la quiétude et l’immobilité. Ils sont également poursuivis par des démons qui les jettent dans des précipices.
Les morts, après cette vie errante de déplacements, connaissent ensuite une seconde mort, cette fois-ci définitive, et qui a lieu au moment de la Toussaint. Ils accèdent alors à un lieu du repos bienheureux, sous la conduite des anges.
Les récits plus récents, du XIXe siècle par exemple, nous montrent une vision de l’au-delà beaucoup plus classique et compatible avec l’enseignement de l’Eglise catholique : les morts sont condamnées au Purgatoire, où ils subissent les peines des flammes et du froid. Et c’est pour échapper à ces peines qu’ils demandent l’aide des vivants, quitte à les persécuter.

Comment aider les morts ?
Il s’agit alors pour les vivants d'alléger les souffrances des morts de leur famille. La plupart du temps, on fait dire des messes aux curés : ainsi Gélis servait-il de rabatteur pour les messes, au curé de Pamiers… Mais parfois, on peut s’adresser à certains personnages spécialement dévolus à la fonction de soulager les morts : ainsi, dans le Lauragais, il existait des diseurs de psaumes qui disaient les 7 psaumes de la pénitence, et avec lesquels on convenait à l’avance du nombre de psaumes nécessaire au repos du mort.
Contrairement à notre époque, qui coupe de manière schizophrénique la vie et la mort, ce qui rend cette dernière absurde et incompréhensible, les anciens voyaient une continuité mystérieuse entre les deux. N’est-ce pas, finalement, par-delà l’étrangeté de leurs croyances, d’une perception finalement plus naturelle et plus saine du phénomène, que l’on essaie d’apprivoiser au lieu de nier en pure perte ?