Sur les pentes qui mènent au Pic de Nore, couvertes de forêts, vous croiserez au détour d’un chemin un charmant village, dominé par un fier donjon. Isolée comme une île dans sa mer arborée, la bourgade dégage une ambiance particulière, entre la sérénité, le calme et le mystère. Car Lespinassière est un endroit secret, qui, malgré la beauté de son château, ne semble pas avoir laissé de trace dans l’histoire…
Arriver à Lespinassière.
C’est déjà un exploit en soi ! Un route pentue et en lacets (la D 620) serpente pendant des lieues dans de sombres bois de conifères. De place en place, d’étranges rochers d’allure
feuilletée élèvent leur rude silhouette contre la morsure des vents. On aperçoit parfois, perdue dans les forêts, une ferme d’allure ancestrale, seul signe de présence humaine dans ces lieux
sauvages. Et c’est au détour d’un virage qu’apparaît, tel un phare, le donjon de Lespinassière, veillant sur les 90 habitants que compte le village.
Les origines du village.
Lespinassière est un village construit en terrasse sur le sommet d’une colline, les maisons étant comme frileusement pelotonnées autour de son donjon. Ce qui laisse présager une fondation ancienne, antérieure à la croisade cathare (XIIIe siècle) où tant de villages détruits furent et reconstruits dans la plaine, alors que l’on édifiait aussi des bastides. Ainsi, il est dit que le château existait déjà à l’époque carolingienne. Cette place forte naturelle, si isolée, nous reporte dans des âges sombres d’insécurité, bien oubliés aujourd’hui, où la Montagne et la forêt étaient le refuge contre les dangers divers et variés.
Une histoire oubliée.
Le plus frappant, avec l’histoire de Lespinassière, c’est que l’on ne sait rien. Tout, ou presque a été perdu dans les brumes du mystère et de l’oubli. A partir du IXe siècle, Lespinassière appartenait au domaine de l'Abbaye de Caunes. Nulle part le village n’est cité lors de la croisade contre les Cathares. Peut-être parce que cette place forte naturelle était imprenable ?
Le château de Lespinassière.
Seul témoin de ces temps oubliés, le château. Nous l’avons dit, il est cité au IXe siècle, et il a été détruit lors des guerres de religion (1579). Il s’ouvre de portes et de fenêtres en plein cintre. Le donjon carré, impressionnant de verticalité, est construit de simples moellons, comme toutes ces modestes et grandioses forteresses de la Montagne noire. L’intérieur est voûté en berceau. Tout ces éléments laisseraient supposer une construction d’époque romane, époque où la Montagne noire se couvrait d’un noir manteau de donjons.
La structure du village.
Le village est en terrasse, construction propice aux cultures. Contre les violents orages méditerranéens qui frappent le village, un système de drains a été mis en place, et un réseau de canaux d’irrigations lui permet de tenir face aux étés secs. Dans la forêt, d’autres terrasses marquent des lieux autrefois cultivées, agrémentées de çi de là de sécadoires (séchoirs à châtaignes).
Une famille de Lespinassière : les Hébraud.
A défaut d’en savoir plus sur l’histoire de Lespinassière par les sources directes, la généalogie d’une famille importante du village nous en apprend davantage. Ils s’agit des Hébraud. L’une des descendantes de cette famille a créé un site internet sur lequel on peut glaner des renseignements passionnants. On y apprend ainsi que cette famille, attestée dès le XIIIe siècle à Lespinassière, semble avoir même partie liée avec l’hérésie cathare ! Mais parole à la descendante :
« En 1280 (?), soit 70 ans après l'ordonnance de
Villers-Cotterêts, instituant l'usage des noms de famille, on trouve un Bernadus et un Arnaudus EBRAUDI à Lespinassière, dans un acte concernant les droits de l'Abbaye Bénédictine de Caunes, sur
les habitants de Lespinassière.
En 1323 un acte concernant le droit de passage des troupeaux sur les propriétés des habitants de Lespinassière, mentionne 5 HEBRAUD, parmi lesquels un Arnaud.Est-ce le même que celui de 1280 ? et
un Raymond traduisant la fidélité au comte de Toulouse...et suggérant que l'hérésie Cathare n'était pas loin. Enfin, le Compoix de 1490 nous révèle l'existence de nombreux EBRAUD dans différents
hameaux de Lespinassière. »
Les Hébraud sont d’ailleurs toujours passionnés par l’histoire de leur village, et c’est guidé par l’un d’entre eux que j’ai visité l’étonnante Eglise de Lespinassière.
L’histoire mouvementée de l’église de Lespinassière.
L’église originelle datait du XVIe siècle, mais elle fut détruite une nuit du début du XXe siècle par un orage très violent, même pour ces pays méditerranéens… En effet, c’est toute une partie de l’Eglise qui s’effondra sous les flots de l’Argent-double en furie. Détail macabre, les corps des morts furent extraits de leurs tombes du cimetière voisin et portés dans des champs, à une centaine de mètres de là…
Les ruines de l’ancienne église sont encore visibles, avec le départ de ses voûtes en croisée d’ogives. L’appareil, comme celui du château, est de moellons, obtenus à partir de la pierre
schisteuse et sombre que l’on trouve partout ici.
On reconstruisit une nouvelle église juste à côté de l’ancienne en style 1930, avec un chemin de croix qui était l’œuvre, dit-on, d’un prix de Rome. Cela vaut le détour, on a plus l’habitude du style sulpicien que du style 1930 dans les églises de village…
Pharmacopée naturelle : la triaque.
Pour tous les accros de la pharmacopée naturelle, une étrange tradition médico-culinaire de Lespinassière… On fabriquait autrefois (encore entre 1870 et 1937) la triaque (mot qui vient de thériaque ?), confiture de genièvre non sucrée, destinée à la médecine humaine et vétérinaire, et vendue aux éleveurs du coin. Mélangée à du vin chaud, la triaque provoquait une abondante sudation… Sans doute salutaire avant l’importation du sauna finlandais dans nos contrées, même si nettement moins sexy… Le site « villages perchés en Montagne noire » nous en apprend plus sur sa fabrication :
« Les baies provenaient des genévriers locaux mais aussi de Saint Pons et de Quillan, elles étaient récoltées à l'aide de " tamboros " de 60cm de diamètre et de bâtons. Une centaine de litre de baies mures étaient sur le feu dans un grand chaudron en cuivre contenant un peu d'eau. Une fois gonflées, elles étaient enfermées dans un sac de toile et pressées afin d'en extraire le jus. Ce jus était ensuite cuit dans un chaudron jusqu'à obtention d'une pâte visqueuse. Conservée dans des boites en fer blanc de cinq kilos, la triaque était transporté et vendue dans toute la région. »
En bref…
Visitez Lespinassière ! Et vive la Montagne noire ! Un village où l’on trouve autant de chats ne peut de toute façon être habité que de personnages hautement sympathiques !
Sites (cliquez sur le lien).
Villages perchés en Montagne noire.