Dans la belle ville de Toulouse, des rumeurs récurrentes à travers les siècles parlent d’un lac souterrain, caché sous la basilique Saint-Sernin. Il serait le réceptacle d’un trésor antique, l’or maudit volé par les Volsques Tectosages au dieu Apollon. Ce que l’on appelle familièrement l’or de Toulouse…
Menons l’enquête pour voir s’il y a quelque raison derrière cette légende. Je la dédie à Falbala, blogueuse gauloise distinguée !
I. L’or de Toulouse.
Le trésor des Gaulois.
L’Histoire du Languedoc de Du Mège rapporte le récit suivant, tiré des historiens antiques. En 278 avant notre ère, une armée gauloise partit piller le temple d’Apollon à Delphes. Elle en rapporta un butin constitué par les objets d’or, offrande des pèlerins au dieu du soleil. Peu après leur retour à Toulouse, ils se retrouvèrent frappés d’une épidémie, qu’ils interprétèrent comme la conséquence de la colère d’Apollon. L’or, considéré comme maudit, fut jeté dans un lac, près d’un temple, à Toulouse.
L’intervention de Cépion.
En 106 avant Jésus-Christ, les Cimbres et les Teutons, peuples germaniques, envahirent la Gaule Narbonnaise. Toulouse entra alors en révolte contre l’autorité romaine. Le consul Cépion fut chargé de mener la contre-attaque, et prit alors Toulouse. Non content de satisfaire à ses obligations militaires, il récupérera l’or maudit, sans se soucier de la malédiction. D’après les anciens historiens, le trésor récupéré par Cépion était de 100000 livres d’or, et 150000 livres d’argent.
Cépion fit escorter le trésor à Rome par convoi spécial. C’est là que l’on perd la trace du trésor… Selon la version officielle, il aurait été volé par des bandits. Selon les accusations portées plus tard contre Cépion, c’est lui qui avait payé des maraudeurs pour s’en emparer. Quoi qu’il en soit, Cépion, reconnu coupable de s’être s’approprié le trésor, fut condamné à l’exil et partit finir ses jours, dit-on, à Smyrne…
Le nom de Cépion est devenu synonyme de malhonnête, d’incapable. Un dicton existait autrefois dans le sud-ouest selon du Mège : c’est un Cépion, pour désigner un homme cupide et avare.
II. Le lac de Saint-Sernin.
Recherches anciennes (XVIIIe-XIXe siècles).
Maintenant, si le trésor lui-même est insaisissable, il nous reste peut-être un peu d’espoir du côté du lac. Une longue tradition prétend qu’il se situe sous les fondations de la basilique Saint-Sernin… Le plus troublant est que ce lac a été effectivement vu, si l'on en croit des témoignages anciens.
En 1748, selon Du Mège, « François III Henri de Fleurigny, abbé de Saint Sernin en 1748, fit faire des fouilles dans l’église de saint-Saturnin, afin de prouver la fausseté de la tradition qui indiquait que son édifice était fondé sur un lac ». Ces fouilles n’auraient eu aucun résultat.
Néanmoins, M. de Montégut, conseiller au parlement de Toulouse et mainteneur aux jeux floraux, rapporte en 1782 dans un mémoire un témoignage allant dans un sens tout différent. Un anonyme, conduit par un chanoine de Saint-Sernin, aurait descendu un escalier. Celui-ci conduisait à une galerie entourant un lac, « dans lequel on jeta des pierres qui firent des ondulations ». Il est dit que ce lac avait été montré au témoin à titre privé, et qu’il fallait n’en rien dire au public. Voilà bien des mystères.
D’après Montégut, qui ne semble pas douter une seule seconde de son témoin anonyme, ce fameux lac était celui de Toulouse, « dans lequel étaient renfermés les trésors enlevés par Cépion ».
Où l’intérêt rebondit…
C’est pour vérifier ce témoignage que le sous-préfet de Toulouse, le baron Etienne-Léon de Lamothe-Langon, s’adressa en 1811 au curé de Saint-Sernin. Ce dernier le conduisit dans la crypte
de la basilique, ouvrit une porte secrète qui ouvrait sur un escalier en colimaçon. Lamothe-Langon descendit 132 marches jusqu’à une vaste salle soutenue de piliers énormes.
« Le milieu de cette enceinte, écrit le sous-préfet, était occupé par un grand lac dont les eaux noires, froides et silencieuses paraissaient dans un repos constant. Cependant, on entendait dans le lointain comme le murmure d’un torrent rapide. Une galerie légère et bien conservée allait d’un massif à l’autre… Le terrain était glissant et humide ; les murailles, chargées de reptiles, brillaient du suc visqueux qu’ils y déposaient. »
Quatre statues se trouvaient là, dont l’une représentait Charlemagne, selon le baron. Mais de trésor, point ! Le baron fut invité à graver son nom sur la pierre et à repartir, bredouille…
Trésor et littérature.
Au début du XXe siècle, le romancier Maurice Magre devait immortaliser le lac de Saint-Sernin dans son roman Le Trésor des Albigeois. Le héros, Michel de Bramevaque, est d’abord conduit dans la crypte des Corps saints, puis son guide ouvre une porte étroite, dissimulée par un amoncellement de chasubles. Il descend un escalier traverse un cimetière souterrain, puis voit enfin le lac :
« C’était une nappe sans reflets, d’un bleu sombre, qui faisait songer à un saphir dont l’esprit intérieur serait mort. »
Belles légendes.
Que penser de ces récits propagés par la tradition ? Ils portent bien sûr la marque de l’affabulation, comme le montra en 1942 Clément Tournier, historien de Toulouse. Il n’existe en fait à Saint-Sernin qu’une sorte de puits, dissimulé derrière une porte. René Vidal, qui a enquêté sur l’affaire au début des années 1980, en donne la description suivante :
« La courtoisie de M. le Curé et de plusieurs prêtres et employés m’a permis de localiser un puits d’eau stagnante, auquel on accède en descendant un escalier de 25 marches, au fond d’un couloir d’une longueur de 5 mètres. Ce puits est situé sous la travée nord de l’Eglise, en face de la porte Miègeville. La nappe phréatique étant montée de quelques centimètres depuis que la Banque de France voisine a creusé ses sous-sols, le couloir s’est trouvé inondé et constitue un petit lac d’environ cinq mètres carrés. »
La basilique de Saint-Sernin n’a d’autre crypte que celle des corps saints, qui ne présente aucune porte secrète… Il faut donc bien se résigner à l’idée que le lac de Saint-Sernin est une légende. Si lac il y a eu à l’époque gauloise, il est plutôt à chercher du côté de l’oppidum de Vieille Toulouse, occupé par les Volsques. Mais là nous plus, le terrain pentu ne laisserait pas de place pour un lac…
Bref…
Le lac de Toulouse… encore un beau récit de notre tradition orale, qui a eu le mérite d’alimenter une belle œuvre de fiction, celle de Magre. Plus sérieuse apparaît la piste des puits dans lesquels les Tectosages jetaient des offrandes, dont l’archéologie moderne a confirmé l’existence. Mais que le trésor de Delphes y ait été jamais présent, cela, c’est une autre affaire, et rien n’est moins sûr !
Sources.
Texte de Strabon sur l'or de Toulouse.
Autres historiens
antiques sur l’or de Toulouse.
René Vidal, « Enquête sur le lac de Toulouse », Folklore 182.
André Rimailho, Lieux et Histoires secrètes du Languedoc.
Maurice Magre, Le trésor des Albigeois.