Avant la Révolution, plusieurs couvents de Toulouse conservaient des momies. Il ne s’agissait pas de dépouilles pharaoniques, mais des corps naturellement desséchés des Toulousains qui avaient voulu se faire enterrer dans ces établissements religieux.
Affiche du film La Momie, avec Boris
Karloff.
L’idée de cet article m'est venue d’Anne-Laure et de son article passionnant sur les momies bordelaises.
Hélas, alors que celles-ci existaient encore il y a peu de temps (photo ici), les momies de la Ville
rose ont été détruites lors de la Révolution. Je ne peux vous les montrer, mais je les évoquerai par l'intermédiaire des mots des témoins oculaires.
Un second article tentera de percer le mystère de la fabrication de ces momies et du sens que revêtait leur exposition.
Les personnes impressionnables ou trop sensibles sont priées de tourner les talons. Pour les autres, qu'ils se rassurent. le but de cet article n'est pas de faire étalage de
détails macabres, mais d'évoquer cette pratique autrefois bien répandue en Europe, celle de l'exposition des momies dans les couvents. Tout le beau monde affluait alors à Toulouse pour
les voir, notamment au XVIIIe siècle. Enquête sur ce phénomène de société de jadis...
L’Eglise et le cloître des Jacobins existent encore à Toulouse ; les joyaux en sont le musée, le « palmier » (pilier et voûtes gothiques de la nef) et la châsse de Saint Thomas d’Aquin.
Eglise des Jacobins.
Jadis, il existait là 24 tombes portant les lettres de l’alphabet. On y enterrait les religieux dominicains du couvent. Tous les 25 ans, on ouvrait une sépulture et on en retirait un corps.
Celui-ci ressortait du tombeau naturellement desséché et était placé dans une salle avec d'autres momies. Nous avons un témoignage sur ces momies, celui du P. Labat (Voyages), cité par Gannal (Histoire des Embaumements, 1838, p. 84).
« Le sacristain des Jacobins de Toulouse, dit-il, nous conduisit dans une espèce de cellier, autour duquel il y a avait un assez grand nombre de corps de nos religieux, rangés à côté les uns des autres, secs, légers, et si peu défigurés, que ceux qui les avaient connus vivants, les reconnaissaient et les nommaient. J’en pris quelques-uns, entre autres celui d’un jeune religieux mort à dix-huit ans ; la jeunesse était encore peinte dans les traits de son visage, et excepté la couleur, rien ne lui manquait pour le faire croire vivant. Rien de plus léger que ces corps.
Le sacristain nous dit que, suivant la disposition du temps, ils étaient droits ou courbés ; que l’humidité relâchait la tension de la peau, et que la sécheresse la redressait. Il nous dit aussi que, selon ses registres, il y avait là des corps qui étaient depuis plus de 100 ans dans ce lieu. La peau était plus brune que celles des autres, mais elle était également ferme et tendue : quand on frappait dessus, elle résonnait comme un tambour. »
Les momies du couvent des Cordeliers (franciscains conventuels).
Le couvent des Cordeliers de Toulouse fut construit dès les débuts de l’ordre au XIIIe siècle, et Antoine de Padoue vint y prêcher. Il n’a pas eu autant de chance que celui des Jacobins. Vendu à la Révolution et transformé en grange, il fut dévasté par un incendie en 1871 et démoli en 1874. Seul le clocher octogonal a subsisté.
Vestiges du couvent des Cordeliers (Monuments
historiques).
Les momies se trouvaient dans une crypte située sous la nef de l’Eglise. On était frappé, selon le témoignage de Puymaurin, auteur d’un mémoire sur le sujet en 1784, par l’état de conservation
des corps :
« Ce qu’il y avait peut-être, note-t-il, de plus prodigieux, dans tout ces corps, c’était la conservation parfaite de la
face ; on y reconnaissait les traits de la physionomie, et jusqu’à l’expression qu’y avait laissé la dernière convulsion ».
On notera le contraste entre la sobriété du style et la matière macabre abordée !
Vanitas vanitatum, ou la deuxième mort de la belle Paule.
Le clou de la collection des Cordeliers, si j’ose ainsi parler, était la momie de Paule de Viguier, dite la « Belle Paule », élégante du XVIe siècle. De son vivant, elle était si célèbre par sa beauté qu’une loi municipale l’obligeait à se présenter à son balcon une fois par semaine. Par une espèce de voyeurisme étrange, des dames du XVIIIe siècle voulurent voir sa momie. Mais comme le beau sexe n’était pas admis dans la crypte (de son vivant, s’entend), il fallut la porter à l'extérieur de l'Eglise… ce qui fut fatal à la momie, nous dit Puymaurin.
Dès que le cadavre fut porté à l’air libre, il se réduisit en poudre, et il n’en resta que les os. Ce qui nous permet de penser qu’un degré d’humidité de l’air et une température bien précises sont une nécessité pour conserver les momies. Les changements d’atmosphère trop brusques leur sont préjudiciables.
Danse macabre.
Il y avait en ce couvent des Cordeliers toute une collection de momies, étrange danse macabre qui rassemblait tous les âges, toutes les conditions sociales, et même toutes les sortes d’agonies :
« … le cadavre d’un écolier qui fut tué, selon les uns, d’un coup de hallebarde, et, selon les autres, d’un coup d’épée dans un combat singulier. En recevant le coup, cet écolier porta la main sur sa blessure qui est au bas-ventre ; elle garde encore cette position et si on fait un effort pour l’en retirer, elle y revient dès qu’on la laisse libre. »
« … un petit enfant qui avait environ un an : il a encore tous ses cheveux qui tiennent. Cet enfant est appuyé sur la main droite, comme s’il dormait : nous lui levâmes la main, et puis elle se remettait ».
Ce dernier « specimen » fut échangé au cabinet royal de Prague contre des modèles réduits de machines…
Puymaurin a fait quelques autres observations sur les momies toulousaines. Leur cerveau avait été transformé en une poudre jaune, incolore et insipide. Il l’avait donc goûtée ? Où ne va pas le zèle scientifique ! Cette poudre était hautement inflammable, et prenait feu avec une légère détonation.
Monsu Desiderio, L'Enfer (détail).
Les momies de Saint-Nicolas de la Grave.
Dans cette autre église toulousaine proche de l’Hôtel-Dieu, sur les bords de la Garonne, c’est la comédie sociale qui rencontrait la danse macabre. On y racontait l’histoire des dépouilles qui s’y trouvaient, gentes dames, clerc dévots, nobles guerriers… Vingt cadavres étaient entreposés là, sous le porche, rangés à la file. D’après les témoins, le plus frappant était le rictus qu’arboraient les cadavres.
Celui-ci devait probablement résulter de la contraction des muscles du visage. On demanda au naturaliste Maupertuis la cause du phénomène. Celui-ci se contenta de répondre avec esprit :
« Mon cher, ces morts rient de ceux qui vivent ».
Ce qui pourrait récapituler la leçon de ces macabres expositions : le monde est un théâtre, l’homme est bulle et poussière. Rendez-vous au deuxième article, pour poser quelques débuts d’explication de ce phénomène à la fois naturel et culturel que constituaient ces expositions de momies…