Cette étrange pierre fascine et étonne. De facture maladroite, elle ne se rattache nettement à aucun style de sculpture
défini. Dérangeante, elle présente une intimité charnelle, étonnante entre la femme et le serpent. Mystérieuse, elle cache un sens que beaucoup se sont échinés en vain de trouver… Revenons sur le
mystère de cette étrange sculpture.
L’objet.
La statue est aujourd’hui conservée au musée des Augustins de Toulouse, non loin de la salle consacrée aux chapiteaux médiévaux. Il s’agit d’un bas-relief de marbre blanc, sans doute pyrénéen. Il est au moins trois fois plus long que large.
La découverte.
Elle fut pendant longtemps conservée dans une chapelle, près d'Oô. Au XIXe siècle, le sous-préfet de St-Gaudens la fit transférer à Toulouse.
Sa redécouverte savante, nous la devons, comme tant d’autres vestiges de Pyrénées, à Alexandre du Mège (1780-1862). Un homme étrange et ambigu, qui fut chargé, au début du XIXe siècle, de répertorier les trésors du patrimoine Pyrénéen. Du Mège se mit en chasse avec frénésie, mais sans grands scrupules : ainsi, il n’hésita pas à fabriquer de faux autels votifs dédiés à Isis, déesse mère égyptienne ! L’archéologie s’inscrivait alors dans des luttes idéologiques et dans des constructions spéculatives qui ont toujours leur influence aujourd’hui.
Du Mège est le premier à reproduire la statue dans son Archéologie pyrénéenne. Par la suite, la pierre d’Oô est évoquée par Bernard Duhourcau (Guide des Pyrénées Mystérieuses, p. 447) et Olivier de Marliave (Panthéon Pyrénéen, p. 37).
L’interprétation de Marliave.
D’après Olivier de Marliave, « la Pierre d’Oô pourrait illustrer la légende selon laquelle Pyrène mit au monde un serpent après le passage d’Hercule ».
Du Mège.
Avant Marliave, cette théorie d'une représetation de Pyrène avait été celle de Du Mège.
Celui-ci se fondait sur des arguments stylistiques pour prouver l’appartenance de la pierre au paganisme. Il la comparait notamment à des auges funéraires et des figures d’autels anthropomorphes
d’époque gallo-romaine. Il concluait qu’il s’agissait d’une figuration d’un mythe de la fécondité, ou de la légende d’un dieu serpent.
En particulier, Du Mège, avant Marliave, rapprochait le bas-relief de la légende latine de Pyrène. Cette légende, il l’avait lue dans le poète latin Silvius Italicus (Punicorum, l. III).
Possessus Baccho, saeva Brebycis in aula
Lugendam formae sine virginitate relinquit,
Pyrenen ; letique Deus, si credere fas est
Causa fuit miseriae : edidit alvo
Namque ut serpentem, patriasque exhorruit iras.
« Possédé de Bacchus, sous le
toit rustique de Brébryx, Hercule abandonne la belle Pyrène en pleurs, privée de virginité. Ce dieu, s’il est permis de le croire, fut la cause de sa misère et de son trépas : en effet, elle
mit au monde quelque chose comme un serpent, et trembla devant la colère de son père… »
Duhourcau et Marliave.
Duhourcau et Marliave reprennent les allégations de Du Mège, sans en mettre totalement en cause la pertinence archéologique, qui est portant très fragile. Aucune preuve formelle, textuelle, ne peut nous dire
1. que cette statue est réellement antique : son style frustre rend impossible une datation…
2. Qu’elle a réellement un rapport avec la légende de Pyrène.
Pour consolider la thèse de Du Mège (cette statue date du paganisme, ou du moins est d'inspiration païenne), ils emploient plutôt des considérations générales sur la femme et le serpent. Voici ce que dit Duhourcau :
« …L’Antiquité représentait souvent la Terre nourricière sous la forme d’une femme nue allaitant des mammifères ou des reptiles. »
Hélas, là où l’on attendrait des explications plus poussées, ou du moins des références précises, l’auteur reste allusif. Marliave est plus explicite : il rapproche la pierre d’Oô, en plus de Pyrène, de la figure de la déesse du panthéon basque, Mari. Celle-ci vit son existence révélée par les travaux de l’abbé Barandiaran à un colloque de Tilbourg, en Hollande (1922). Mari, déesse féminine, aurait pour parèdre le serpent Sugaar ou Sugoï.
Il faut toutefois noter que Sugoï est le partenaire de Mari, et non son fils comme dans le cas de Pyrène. L’exemple de Mari ne pourrait donc pas dans ce cas légitimer l’interprétation de la pierre d’Oô qui se rattache à la légende de Pyrène, si ce n’est dans le sens général d’un lien vague et général de la femme et du serpent venu du paganisme.
Emblème de la luxure.
Une interprétation beaucoup moins spéculative fait du bas-relief un symbole roman de la luxure. En effet, en de nombreuses églises romanes, à Issoire, Hastingues, Moissac, Montmorillon se
trouvent des figurations de femmes qui nourrissent des serpents ou des crapauds. Par comparaison, on peut conclure du caractère très répandu de ce motif à l’époque.
Si ce motif est répandu loin des Pyrénées, il n'y a pas de raison qu'on cherche les origines de la Pierre d'Oô, qui
le reproduit, dans les légendes pyrénéennes.
Néanmoins, la différence capitale entre ces chapiteaux roman et la pierre d’Oô, c’est que, sur cette
dernière, la femme ne fait pas qu’allaiter le serpent, mais elle le met au monde… Détail qui a son importance.
Paganisme ou christianisme ?
Finalement, rien ne nous dit que la Pierre d’Oô soit un vestige du paganisme, si ce n’est une simple spéculation d’un érudit du XIXe siècle : ce pourrait être un simple spécimen de l’art roman pyrénéen. Comment savoir ? Bien malin qui dira.
Biblio.
J. Baltrusaitis, La Quête d’Isis.
Du Mège, Archéologie Pyrénéenne.
B. Duhourcau, Guide des Pyrénées mystérieuses.
O. de Marliave, Panthéon Pyrénéen.
Liens.
Alexandre du Mège.