Les légendes pyrénéennes parlent d'étranges homme sauvages. Ceux-ci vivent à proximité des humains, et détiennent les secrets de la nature. Mais il y aussi les enfants et femmes
sauvages, qui eux, ont réellement existé, et dont on a conservé les témoignages. Enquête sur un mystère à mi-chemin entre la légende et le fait divers.
Les hommes sauvages dans la légende.
Les légendes de l'Ariège évoquent d'étranges silhouettes entrevues à l'orée des bois... Les hommes sauvages, incarnation de la nature et de ses secrets, vivaient dans les bois, mais ne pouvaient
se défendre d'une curiosité dangeureuse pour eux-même, à l'égard des humains... Il était alors facile pour les cultivateurs de les capturer.
Les récits qui les concernent sont typiques. Un paysan (ou un berger), durant son travail, remarque la présence d'un homme sauvage qui le guette depuis un bois. L'homme sauvage essaie parfois,
maladroitement, d'enfiler une paire de sabots, puis s'esquive. C'est alors que le paysan imagine un stratgème pour prendre la créature au piège : généralement, il suspend, à l'orée d'un bois, un
pantalon, ou des soulier. L'homme sauvage essaie d'enfiler le pantalon ou les souliers, mais, du fait de sa maladresse, se trouve entravé. C'est alors que le paysan le capture...
Le secret des hommes sauvages.
Vous me direz, quel intérêt à capturer un homme sauvage ? Dans la légende, cela peut s'avérér très profitable. En effet, nos cousins des forêts, si l'on en croit la rumeur, seraient détenteurs
des secrets de la nature, qu'ils ne livrent aux hommes que sous la menace.
Ainsi, comme les habitants de Saurat (Ariège) avaient capturé un de ces sauvages, ses compagnons lui dirent : "Quoi qu'on te dise et quoi qu'on te fasse, ne dis jamais à quoi sert le bourgeon de
l'aulne".
Un autre homme sauvage, en Lavedan, aurait dit à un berger que, s'il connaissait la valeur de la fleur de l'aulne, il pourrait conduire ses boeufs avec des aiguillons d'argent.
Le maître des forces de la nature.
Secrets de la nature, bizarre alchimie des plantes : de même que d'autres êtres fantastiques (fées et démons), les hommes sauvages sont les dépositaires d'un savoir ou d'un savoir-faire occulte,
qu'on ne peut leur extorquer que par la force ou la ruse.
Un autre homme sauvage de Bigorre avait trouvé une source dont l'eau rendait immortel.
De Merlin aux Pyrénées.
Les habitués des romans de la table ronde savent bien que Merlin l'enchanteur apparaît parfois sous la forme d'un homme sauvage. On le voit par exemple dans le Merlin attribué à Robert de
Boron (XIIIe siècle). Or Merlin est le fils d'une pucelle et d'un démon, doué du don de prophétie et d'un savoir surhumain.
Il apparaît ainsi que, dès le Moyen-âge, l'homme sauvage est un être qui brouille les frontières et les limites: à la fois humain et inhumain, naturel et surnaturel, inférieur et supérieur à
l'homme civilisé. Il est possible que, dans nos pays occitan, ces légendes aient perduré plus longtemps qu'ailleurs.
Les hommes sauvages sont souvent présents dans l'art médiéval, comme par exemple au cloître du Jardin Massey de Tarbes, provenant de l'Abbaye de St Sever de Rustan (photos).
Une hypothèse ?
En Ariège, les hommes sauvages sont appelé Iretges, d'un mot qu'on a rapproché d'hérétique. Selon Olivier de Marliave, ce nom garderait la mémoire des derniers cathares persécutés, obligés de se
réfugier dans les forêts, les montagnes et autre lieux retirés, comme des hommes sauvages. Hypothèse séduisante, qu'il faudrait sans doute étayer par des arguments linguistiques.
Les hommes sauvages dans la réalité.
A côté de l'homme sauvage légendaire, il y a des hommes, enfants et femmes sauvages bien réels. Le cas le plus frappant est celui de la "Folle du Montcalm" (1805). C'est l'histoire
poignante d'une femme sauvage qu'on a bêtement essayé de "civiliser", en l'arrachant de force à sa vie libre...
Les bergers l'avaient vu vivre seule, dans la montagne, et lui avaient laissé de la nourriture. Mais en 1807, elle fut arrêté par les gendarmes, accusée, paraît-il, de jeter des sorts. On la mena
au village de Suc, on l'habilla de force et l'attacha à un lit. Elle réussit à s'évader, fut reprise et jetée dans les geôles du château de Foix. On la croyait démoniaque car elle ne supportait
pas les vêtements... Sa triste existence prit fin en 1808, soit à peine plus d'un an après son arrestation.
Elle aurait déclaré avoir vécu avec des ours, "ses amis les ours qui la réchauffaient". Elle emporta son mystère dans la tombe...
Bref...
Un sujet passionnant, que je n'ai fait ici qu'effleurer très rapidement. La question de la nature de la culture, de l'humanité, tout cela figure dans ces légendes d'hommes sauvages. C'est
pourquoi elles fascinent autant...
Sources.
Robert de Boron, Merlin (éd. Droz).
J-P Piniès, Croyances populaires de pays d'Oc.
O. de Marliave, Trésor de la Mythologie pyrénéenne et Panthéon Pyrénéen.
Iconographie.
Panthéon pyrénéen pour l'enluminure (Roman d'Alexandre, XIIIe siècle).
Représentations d'hommes sauvages et de Samson provenant du cloître du Jardin Massey, Tarbes, Hautes-Pyrénées.
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