Qui songerait qu’il existe, en pleine campagne tarnaise, près de Lempaut, un vrai manoir de féerie ? Forteresse médiévale restaurée à la fin de la Renaissance, il présente sur ses façades un bestiaire fantastique taillé dans la pierre : cariatides, masques grimaçants, satyres ricanants…
A la découverte d’une demeure chargée d’histoire, et qui respire encore un air maniériste. Celui d’un univers raffiné et marqué par les ravages de guerres de religion, contemporain du
dernier Ronsard, de Shakespeare et d'Agrippa d’Aubigné...
A la découverte d'une période où l'art traduisait l'image d'un univers en perpétuel mouvement et métamorphose,
entre animé et inanimé, humain, animal et végétal...
La façade.
Comme souvent dans le toulousain, elle est de brique : seuls les encadrements des portes et fenêtres sont en pierre sculptée. Les tours massives rappellent la fonction défensive originelle de l’édifice. Elles ont été équipées de bouches à feu, permettant de tirer à l'arquebuse.
Ce qui détonne par rapport à d'autres édifices de la Renaissance, c’est que l’espacement entre le fenêtres est irrégulier, et que la façade
principale n’offre pas de principe de symétrie. De même, il n’a aucune cohérence apparente entre les décorations des fenêtres. Fantaisie d’artiste ou nécessité du lieu ? Je n’en sais pas
plus.
Les fenêtres.
Les fenêtres offrent un riche répertoire décoratif.
Les fenêtres des côtés de l’édifice sont les plus simples. Elles n’ont pas de croisées, et reposent sur des
consoles ornées d’un visage : ici, une femme et un homme barbu, dans la force de l’âge.
-les fenêtres de la façade.
Ce sont des fenêtres à meneaux, dont les croisées de pierres sont richement ornées.
Les croisées verticales portent des sortes de cariatides. Dans un style maniériste, ce sont généralement des
personnages monstrueux.
Ainsi, on peut remarquer une magnifique représentantion de femme habillée à l’antique, dont le corps finit en une
queue de serpent entrelacée d’une sorte de motif végétal. Elle porte sur sa tête un petit chapiteau corinthien (ci-dessous).
Ailleurs, un satyre ricanant et barbu, dénué de bras. Ses pattes de chèvres sont croisés, et il arbore avec impudeur certain avantage anatomique...
Les croisées horizontales présentent elles aussi des ornements très variés. Ils sont parfois végétaux (pignes de pins, ci-dessous), décoratifs (oves et dards), ou animaux (dragons, serpents).
La plus belle des fenêtres sculptées.
C’est la plus chargée de tout l’édifice sans doute ; elle est entourée à gauche et à droite de pilastres qui présentent une succession de petits motifs : soleils, lunes, masques, têtes de lion, cartouches.
En haut des pilastres, des consoles sont décorées de deux visages barbus.
Sur l’entablement, deux petits anges et des rinceaux (motifs végétaux).
Sur la croisée verticale, deux cariatides, dont l’une est une sorte d’Hermès féminin : c’est femme sans bras, dont le bas du corps s’engonce dans une gaine, faite d’un motif végétal (ci-dessous).
La croisée horizontale présente une frise faite d’oves et de dards, qui se finit de chaque côté par des volutes.
Au-dessus de la fenêtre, un fronton en saillie présente un écu dont le motif a été abîmé, mais qui semble représenter un quadrupède.
La porte.
C’est une porte monumentale en plein-cintre, qui rappelle les arts de triomphe antiques. Elle est entourée de pilastres aux chapiteaux corinthiens, dont les feuilles d’acanthe sont délicatement sculptées. Comme sur les fenêtres, l’entrablement est orné de rinceaux et de deux mascarons barbus et grimaçants.
Les inscriptions.
Elles sont étonnantes. On lit près de la porte le nom du château : Padiès. Les plus étonnantes, ce sont
celles qui mentionnent des prénoms féminins : Vive Annette, Vive Marianne, Vive Lisimène. Ont-elles été gravées là par des soldats, en hommage à des jeunes filles peu farouches du
voisinage, ou en souvenir de leurs fiancées ? Le nom de Lisimène pourrait venir d’un roman de Madeleine de Scudéry, mais il est mentionné dans d’autres œuvres littéraires du
XVIIe et du XVIIIe siècles. Etait-ce le nom de parnasse (pseudonyme) d’une demoiselle, dame ou courtisane du temps jadis ?
Histoire de la demeure.
Je n’ai pour l’instant ni une documentation fouillée, ni le temps de faire les recherches alors je vous livre 2-3 éléments grappillés à droite et à gauche.
Le premier château fut construit au XIIIe siècle. Il fut brûlé pendant
les guerres de religion et restauré en 1617 (Jean Roques, Guide du Tarn).
D’après le site très bien fait par les propriétaires actuels : durant les guerres de religion la famille de Padiès était catholique, et fut assiégée par les Huguenots du bourg de Puylaurens,
tout proche. Le maître du château préféra se faire sauter sur un baril de poudre, plutôt que de se rendre. Sa femme et son fils furent conduits à Puylaurens, où ils devinrent protestants. Ce fut
ce fils qui rebâtit Padiès dans sa forme actuelle. Le château resta dans la famille jusqu’au début du XIXe siècle.
Padiès aujourd’hui.
Magnifiquement restauré par ses propriétaires
actuels, le château est au cœur d’un projet paysager, et sert aussi de résidence d’artistes. Je vous engage à faire un tour sur le site officiel, très bien
fait, et sur le blog du château.
Encore bravo à ces propriétaires passionnés pour avoir rendu la vie à Padiès ! Leur talent a d'ailleurs été recompensé par un prix, il y a quelques années.
P.S.
Je remercie Elaine Merkus, la propriétaire, pour le gentil commentaire qu'elle a bien voulu laisser sur cet article. Je vous invite à découvrir les propriétaires de Padiès, leur art de vivre et leur projets passionnants sur le reportage que France 3 leur a consacré : cliquez ici pour le voir (une fois sur le site de l'émission, cliquez sur 22 novembre pour accéder à la vidéo).
Avec eux, Padiès est en passe de devenir un haut lieu culturel.
Dans ce reportage, vous découvrirez aussi Patrick Garrido, le tailleur de pierres qui a restauré les façades de Padiès. Vous aurez aussi un aperçu des beaux intérieurs.