Dans
les chemins de la Montagne noire (Tarn et Aude), stèles et monuments rappelent que naguère, des combats opposèrent des hommes en petit nombre, faiblement armés, mais résolus et organisés,
à la Wehrmacht bien supérieure en nombre et mieux fournie en matériel.
Les principaux événements
Les origines
Le Corps Franc de la Montagne noire (CFMN) est né de la volonté de plusieurs hommes qui ont refusé la défaite et l'occupation, tout simplement. Deux en particulier : Roger Mompezat et Henri Sévenet. L'Etat-Major interallié de Londres leur donne son
accord définitif pour la constitution d'une force basée en Montagne noire, ainsi qu'un appui matériel. Dès 1943, les premiers parachutages d'armes ont lieu en vue d'armer la future unité.
Profil de Roger Mompezat, fondateur du corps franc, sur
le monument de Fontbruno
Un troisième homme s'adjoint au duo formé par R. Mompezat et H. Sévenet pour exercer les fonctions de chef militaire de l'unité : Saint-Michel, de son vrai nom Jouan de Kervenoael (le nom est ainsi orthographié dans le Journal de marche mais sur le site des Anciens du CFMN, c'est Joan
de Kervanoael), qui a créé dans le Tarn des maquis après avoir résisté au sein même de l'armée française, après l'armistice de 1940.
Le 20 avril 1944, à Castres a lieu un rendez-vous entre les principaux acteurs, et la constitution du Corps Franc de la Montagne noire est décidée.
La constitution du Corps Franc
Fin avril et début mai 1944, les armes déjà parachutées, et dissimulées dans diverses caches dans le Tarn et l'Ariège, sont transportées dans la Montagne noire, par exemple dans la
forêt de Ramondens où cantonnent déjà des résistants.
L'obélisque du monument au corps franc à Fontbruno,
portant le nom des principaux lieux de ses faits d'armes
Dès le 15 mai 1944, une unité de résistants venue de Castres s'installe près du Pic de Nore, sous la conduite du sous-lieutenant Jourdain, à la ferme de la Goutine. Une vieille bergerie est
restaurée dans l'urgence et les recrues s'entraînent, dans le brouillard de cette zone de moyenne montagne. La Goutine sera bientôt ralliée par d'autres groupes, qu'il est difficile de
nourir : heureusement les nouveaux arrivants apportent avec eux leurs réserves de vivres.
Le 5 juin 1944, à 21 heures, Radio Londres donne le signal de la guérilla : "On a trouvé de quoi se rafraîchir dans le jardin". Les volontaires affluent en masse au Pic dans les jours
suivants, au point de provoquer un quasi-embouteillage dans ces lieux habituellement calmes. Certains arrivent sur des véhicules originaux, camions à ordures, camions de pompiers... "C'est
ridicule et c'est magnifique", commente le Journal de marche. Il faut trier les nouvelles recrues, distinguer les sérieux de ceux qui veulent se "planquer".
Premières actions
Sous la direction de Sévenet ont lieu les opérations de sabotage. Au plastic, on fait sauter la ligne de train Toulouse-Carcassonne, importante pour les Allemands.
Le 8 juin, c'est la première démonstration des forces du corps franc. Une troupe part occuper Montolieu, fait quelques Allemands prisonniers, et déclenche l'enthousiasme des
habitants : tout le monde veut leur offrir à boire et à manger !
Au 11 juin, le Corps Franc est déjà gros de 600 hommes, 200 à Laprade, 120 au Plo del Pay, d'autres groupes dans les alentours du Pic de Nore. Au Premeir juillet 44, ce nombre se porte à 1000
hommes.
-12 juin 1944. Combat des Rousses (Montagne noire tarnaise)
Le CFMN apprend qu'une colonne allemande doit
passer sur la route entre Mazamet et les Martys (Tarn), peut-être pour attaquer les résistants. Une attaque est décidée, de manière préventive. Les pertes allemandes sont importantes, le
Corps franc n'a qu'un blessé léger.
-29 juin 1944. Combat de "la Rouge" près de Saissac (Montagne noire audoise)
Des militaires allemands de passage sont attaqués; B. Mercier et P. Fabre meurent lors de l'attaque, mais les Allemands sont mis en fuite. Le premier juillet, les morts sont inhumés en grande
cérémonie.
Le défilé du 14 juillet 1944
Un 14 juillet en forêt n'aurait pas beaucoup de sens... Les hommes du Corps Franc décident de défiler dans les villages proches de la Montagne à l'occasion de la Fête nationale. Le but est tout
autant de narguer l'ennemi que de rendre espoir à la population.
A Revel (Haute-Garonne), les camions du Corps Franc sont accueillis par la foule. La troupe est en ordre impeccable, avec écussons, uniformes, drapeaux. L'enthousiasme est grand. A Dourgne
(Tarn), la même cérémonie est rééditée, avec le concours de la gendarmerie locale.
La riposte allemande
20 juillet 1944. Attaque allemande
L'armée allemande riposte par une attaque aérienne terrifiante. Les hommes du CFMN sont réveillés par l'écho des moteurs d'avion dans les vallées. Le camp de la Galaube est bombardé par six
avions (torpilles de 300 kg). Les camps du Plo del May et de Riedgé sont mitraillés. Les dégâts sont très importants. Deux avions allemands sont endommagés par les tirs de DCA des
résistants.
Quatre morts sont à déplorer à la Galaube, parmi lesquels celle d'Henri Sévenet, 30 ans, un des fondateurs du CFMN, qui a été décapité par un éclat de bombe lors de l'assaut. Une deuxième vague
d'assaut aérienne fait exploser le magasin des explosifs au campement de Riedgé.
A midi, l'attaque terrestre commence. Ce sont plus de 1500 fantassins allemands, en deux groupes, qui attaquent. Un groupe d'Allemands dévaste ce qui reste du Camp de la Galaube. Au Carrefour de
la Prune (près des Escudiès-Arfons-Tarn), René Gayral tente de bloquer l'avancée des troupes ennemies avec ses soldats, retranchés dans les fossées du bord du chemin, sous une pluie de balles
explosives, de projectiles de mortiers et de canons... Deux hommes, Ferrié et Adam, parviennent à stopper les chars à la grenade. Une stèle évoque ce combat sur place (photo ci-dessus).
Stèle du Plo del May, commémorant l'existence d'un des
camp du corps franc
A la Prune, pendant deux heures trente, les hommes de Gayral tiennent contre les Allemands, qui ne peuvent avancer, puis doivent se replier, faute de munitions...
Pour ne pas risquer de graves pertes, les officiers du Corps Franc décident le "décrochage général", et les troupes prennent la direction le Pic de Nore en Camion. Etant donné l'ampleur des
forces mobilisés par l'ennemi, le bilan est relativement positif pour le corps franc, qui n'a que quatre morts à déplorer, et des pertes matérielles (ses camps ont été détruits).
Le camp du Riedgé après le
bombardement
Après l'attaque du 20 juillet 1944
Le CFMN doit être réorganisé et divisé en plusieurs groupes, ce qui ne facilite pas les communications...
L'histoire du Corps Franc continue, marqué dans cet été 1944 par son cortège d'arrestations, de fausses rumeurs, de marches harassantes dans la montagne, pour échapper aux patrouilles
ennemies...
Les hommes du CFMN participent, en particulier, aux combats terribles du 8 août 1944 à Trassanel, dans lesquels huit des leurs trouvent la mort. Le 23 août, au Pont-de-la Mouline dans
l'Hérault, on compte neuf victimes du Corps Franc.
Le CFMN continue la guerre au sein de l'armée française après la Libération. D'autres de ses hommes trouveront encore la mort en Alsace et en Allemagne de décembre 1944 à septembre
45.
Monument de Fontbruno : entrée de
l'ossuaire
L'esprit du Corps Franc
Outre les actions, ce qu'il est digne de noter, c'est qu'un certain esprit, un certain idéal qui animait ce corps franc, du fait de sa composition et de l'état d'esprit de ses
officiers et ses hommes.
Une force composite
La force du corps franc de la Montagne noire, c'était aussi d'être à l'image de la France, dans sa diversité. On y trouvait des soldats de métier, mais aussi des civils, des Tarnais et des
Audois, des "Ch'tis", des Bretons et des Normands, des Alsaciens et Lorrains (ayant déerté la Wehrmacht), des Belges, des Russes, des Espagnols (républicains), des Italiens, des Belges, des
Polonais, un Hollandais, un Américain et un Anglais. Toutes les religions étaient représentées: athées, juifs, chrétiens, musulmans. Certains morts étaient salués par la lecture du
Coran, d'autres enterrés selon le rite chrétien... Une force qui était déjà, finalement, à l'image de la France d'aujourd'hui ?
Un certain sens de la justice et de l'humanité
Après le combat de La Rouge, les hommes du CFMN prennent le risque d'amener un de leurs prisonniers allemands, gravement blessé, à l'hôpital de Mazamet. Au petit matin, le capitaine
Manquené, médecin du Corps franc, remet le blessé avec une lettre à des infirmières allemandes interloquées... D'après une allocution de J. de
Kervenoael, le soldat allemand a dit alors : "Lorsque la paix sera revenue, nous serons heureux de vous accueillir chez nous".
Il semble, d'après le Journal de Marche, que le corps franc ait tout fait pour se conduire honnêtement à l'égard des habitants de la région, notamment en achetant aux fermiers les
produits nécessaires. Les voleurs étaient d'ailleurs exclus du groupe. Ce qui n'a d'ailleurs pas empêché certains petits malins d'opérer des "réquisitions" au nom du Corps Franc, mais à leur
propre bénéfice... Beaucoup des denrées et du matériel nécéssaires au corps franc ont été subtilisés dans des stocks constituées par des spéculateurs et autres requins du marché noir : ainsi sont
concilées la justice et la nécessité !
En bref...
Quelques mots, pour dire l'admiration et la reconnaissance que l'on peut ressentir à l'égard de ceux qui combattirent. Les dernières pages du Journal de marche trahissent une
certaine amertume : à la Libération, les hommes du corps franc n'ont guère retiré de fruits de leur sacrifice, doublés par les faux résistants, et souffrant d'un certain manque de reconnaissance
de la part de l'armée : ainsi, les mois que J. de Kervenoael a passé dans la résistance n'ont même pas été comptés dans son ancienneté !
Ce petit article voulait seulement évoquer brièvement la mémoire de ces résistants qui s'unirent pour défendre la cause de la liberté.
Sources
Le corps franc de la Montagne noire, journal de marche, avril-septembre 1944. (3e édition, 1963). Les photos NB de Yan sont extraites de cet ouvrage.
Liens
Site des anciens du corps franc de la Montagne noire
Page de Laprade sur le CWGC
(site des cimetières de guerre du Commonwealth) : contient une notice sur Henri Sévenet
Voir sur place
-Monument Ossuaire de Fontbruno (inauguré en 1947), près d'Arfons (Tarn), qui commémore les combats et conserve les dépouilles de plusieurs hommes du CFMN (dont celle de Roger Mompezat).
-Cimetière de Laprade-basse (Aude), où sont enterrés plusieurs combattants et officier (fait partie des cimetières de Guerre du Commonwealth -Commonwelath War Graves).
-Lieux-dit la Prune, le Plo del May, La Galaube : stèles commémoratives.