Dernièrement, j'ai regardé avec plaisir le dernier volet de la série "Pirates des Caraïbes", qui explorait avec humour et action le mythe des sirènes et de la source de jouvence ainsi que la figure du terrible pirate Barbe-Noire... Ne pouvant rien envisager sans y impliquer mon Languedoc natal, je me suis interrogé sur la possible existence de pirates nés dans notre région au XVIIe siècle, l'âge d'or de la flibuste.
Bien m'en a pris, car ce faisant j'ai croisé deux figures aussi terribles qu'attachantes : un gentilhomme gascon ayant opéré dans les Caraïbes, le sieur Mombars, (ou Monbars) et un pirate barbaresque, le capitaine Xaban "le français", originaire de Sérignan.
Hisse le grand foc, matelot, et écumons donc les mers en compagnie de ces deux figures étonnantes...
Le sieur de Mombars, corsaire des caraïbes
A l'image romantique du pirate sans dieu ni maître, il faut opposer celle du corsaire au service du roi, et menant sur ordre ce celui-ci une guerre lucrative contre les ennemis du Royaume. Au XVIIe siècle, dans la mer des Caraïbes, ils s'emparaient des richesses tirées par l'Espagne du Nouveau Monde. Monbars était l'un d'eux. Impitoyable et sanguinaire envers ses ennemis, il avait acquis le surnom d'exterminateur...
Exquemelin, le chroniqueur des hauts faits des "aventuriers" ou flibustiers, le décrit ainsi :
"Je me souviens de l'avoir vû en passant au Honduras. Il est vif, alerte, et plein de feu, comme le sont tous les Gascons. Il a la taille haute, droite et ferme, l'air grand, noble et martial, le teint bazané. Pour ses yeux, on n'en sçauroit dire ny la forme ny la couleur, estant cachez comme sous une vouste obscure, à cause que ses sourcils noirs et épais se joignent en arcade au-dessus, et les couvrent presque entierement. On voit bien qu'un homme de cette sorte ne peut estre que terrible : aussi dit-on que dans un combat il commence à vaincre par la terreur de ses regards, et qu'il acheve par la force de son bras."
Nul doute que Mombars, tel plus tard Barbe-Noire, savait jouer de son apparence pour effrayer ses ennemis...
Barbe-noire (Edward Teach, 1680-1718), lien
Comment devient-on corsaire ?
Mombars détestait au plus au point les Espagnols, ce qui fut déterminant, dit Exquemelin, dans le choix de la carrière de Corsaire, plus encore que l'appât du gain. On disait que sa haine remontait au collège, où Mombars avait découvert dans les ouvrages de Bartolomé de Las Casas les actrocités perpétrées par les conquistadores. Il avait même tenté d'assassiner un camarade de collège qui jouait le rôle d'un Espagnol dans une pièce de théâtre !
Coup d'essai et coup de maître
Le jeune Mombars brûlait de prendre la mer. Un de ses oncles, commandant d'un vaisseau de corsaire, l'engagea au Havre pour croiser contre l'Espagne, avec qui la France était alors en guerre.
Une fois en mer, un vaisseau espagnol apparaît. L'oncle de Mombars fait enfermer, son neveu, ayant peur de quelque acte inconsidéré... Les Espagnols sont les premiers à donner du canon ; le bâtiment français essuie le feu sans trop de dégâts et s'approche de sa proie... L'ordre d'abordage est donné. Mombars libéré y participe ; jouant du sabre, il va deux fois d'un bout à l'autre du navire ennemi, renversant tout sur son passage ! C'est la victoire pour les Français.
Un abordage au XIXe siècle, lien
Il s'avéra que le navire était chargé de richesses fabuleuses, dont Equemelin fait l'inventaire : " trente mille balles de coton, des tapis velus, deux mille balles de soye reprise, deux mille petites barriques d'encens, mille de cloux de girofle, puis une cassette remplie de diamans, dont quelques-uns paraoissoient de la grosseur d'un bouton commun."
Il y a là sans doute quelque exagération, mais quelle satisfaction pour un corsaire débutant que ette prise ! Exquemelin précise que plus que le butin, c'était le nombre d'Ibériques laissés sur le carreau qui contentait l'Exterminateur...
Au secours des boucaniers
Un autre épisode va permettre au jeune Mombars de prouver sa valeur, et de gagner son propre vaisseau. Les corsaires étaient en contact avec les boucaniers qui assuraient leur approvisionnement en viande. Ils chassaient les sangliers ou cochons marrons trouvés sur les îles, puis les préparaient en les fumant ou en les salant. Exquemelin avait goûté cette viande qu'il disait délicieuse, "d'une odeur admirable vermeille comme la rose, et dont on auroit envie de manger en la voyant."
Des boucaniers vinrent se plaindre aux corsaires que les Espagnols dévastaient leurs boucans (grills) en leur absence. Mombars leur propose de prendre leur commandement pour une expédition punitive. L'oncle donne quelques soldats en supplément à son neveu, et celui-ci part sur un canot des boucaniers.
Gravure représentant un boucanier, lien
Arrivé sur leur île, le groupe aperçoit un détachement de cavalerie espagnole. Mombars va se jeter tête baissée quand un des boucaniers lui dit :
"Attendez, nous allons avoir ces gens sans qu'il en échappe un seul".
Suggestion qui était bien de nature à plaire à notre exterminateur...
Un stratagème diabolique
Les boucaniers firent semblant de planter leur tentes et de se donner du bon temps en buvant de l'eau-de-vie. Les Espagnols en furent ravis, attendant le moment où ils seraient fins saouls pour les attaquer.
Pendant ce temps, les boucaniers envoient des messagers secrets pour demander du renfort aux autres boucaniers de l'île. Puis, à la tombée de la nuit et à la faveur de la brume, les deux groupes se retrouvent dans le camp sans que les Espagnols ne se soient aperçus de rien.
Au petit matin, ceux-ci attaquent, pensant tomber sur des adversaires ronflants et avinés : mais ils se trouvent devant une foule de guerriers déterminés et prêts à en découdre !
Le dénouement du combat
Mombars tue un Espagnol et vole son cheval pour mieux participer au massacre. Sa témérité est telle qu'il charge seul un escadron de cavalerie ! Entouré de toutes parts, il voit sa dernière heure arrivée, mais est sauvé au dernier moment par ses alliés.
Bientôt, les esclaves indiens des Espagnols, reconnaissant en Mombars un libérateur, se joignent au boucaniers et criblent de flèches leurs maîtres bien mal aimés. Quelques coups de mousquets encore, et la cavalerie ibérique n'est plus qu'un souvenir...
Mombars disait lui-même que c'était là le plus beau jour de sa vie... Des mauvaises langues précisaient que c'était aussi un terrible carnage : on y voyait les morts baignant dans leur sang. les cadavres étaient tellement nombreux que les combattants trébuchaient dessus.
Le navire pris aux Espagnols fut rempli des nouvelles recrues, les boucaniers et les indiens liberés, et Mombars fut nommé commandant de ce navire. On adjoignit au jeune loup un vieux marin expérimenté pour tempérer son ardeur !
Un nouvel abordage
Huit jours plus tards, Mombars et son oncle sont assaillis par quatre navires espagnols. L'oncle en coule deux mais sombre avec son navire. Mombars coule à son tour un bâtiment ennemi, et se lance à l'abordage de l'autre, suivi de ses fidèles Indiens armées de fusils et de sabres.
Cartagena de las Indias, cité coloniale espagnole (Colombie), lien
Pour venger son oncle, Mombars se lance à l'assaut d'une position espagnole. Le gouveneur, prévenu, fait tendre une embusacde et préparer huit cents hommes de troupe, avec quatre canons : peine perdue, c'est encore une victoire éclatante du Languedocien dans la mer des caraïbes, suivie bien sûr de sa scène de pillage réglementaire !
A suivre
Réalité ou fiction ? Certains n'ont pas hésité à remettre en cause l'existence de ce Capitaine, que l'on ne connaît après tout que d'après une seule source, le récit d'Exquemelin... D'autres soutiennent mordicus qu'il a vraiment vécu. Que vous en semble ? Selon moi, si non è vero, è bene trovato.
Si vous avez aimé écumer les Caraïbes en compagnie de Mombars, vous apprécierez sans doute de voguer en méditerrannée avec le
capitaine Xaban, alias Guillaume Bedos, corsaire d'Alger...
Lien
Débat sur l'existence de Mombars
Sources
Jean MERRIEN, Histoire mondiale des pirates, flibustiers et négriers.