Dans les paysages grandioses et désolés des plateaux de l'Aubrac (Aveyron), un établissement accueillait, soignait et protégeait les pèlerins de
Compostelle. Les bâtiments, tout de pierre rouge ou noire, méritent la visite pour leur beauté
austère et rustique.
Poussons donc cette belle porte de pierre pour évoquer ce lieu unique, à l'ambiance si particulière...
Les plateaux de l'Aubrac
L'Aubrac est un pays horizontal, un plateau de 25000 hectares. Plus précisément, c'est un vieux socle granitique recouvert de basalte. Ici, pas de champs cultivés, mais de l'herbe et de
la roche à perte de vue, jusque dans les vallonnements et les forêts de pins, les bois de hêtres et les tourbières. Ici poussent la gentiane et le colchique. Un vent mordant et glacial, en
cette fin d'automne, vous y transperce jusqu'aux os...
Le grandiose paysage de désert n'est interrompu que par quelques villages, ou encore la silhouette trappue
des burons (mazucs) où naguère encore, les buronniers fabriquaient le fromage de vache de Laguiole, vivant là comme des ermites, dans un confort rudimentaire.
La Via Podensis sur les chemins de Saint-Jacques
Si ce milieu nous semble encore hostile de nos jours, qu'en était-il jadis, lorsqu'aux rigueurs du climats venaient s'ajouter les attaques de brigands, les razzias des bandes armées pour
soutenir la cause d'un souverain, ou d'une religion ?
En effet, sur le plateau de l'Aubrac passe un des chemins menant à Saint-Jacques le Compostelle, le chemin du Puy (Via
Podensis), inauguré en 951 siècle par Godescalc, évêque de la cité de la Vierge Noire. De fait, les
pèlerins étaient nombreux autrefois (ils le sont à nouveau aujourd'hui, semble-t-il), et les lieux n'étaient pas très sûrs...
"Dans ce lieu d'horreur et de profonde solitude"
Au XIIe siècle, la domerie d'Aubrac n'existait pas encore. La région était particulièrement hostile et mal famée, décrite selon les textes comme "loc[us] horroris et vastae solitudinis" (lieu
d'horreur et de profonde solitude)...
Un pèlerin allait éprouver à ses dépens les dangers de l'Aubrac médiéval, en 1120. Il s'appelait Adalard, comte de Flandres, et se dirigeait lui aussi vers le Finistère espagnol et la
tombe de l'apôtre. A l'aller, sur les plateaux de l'Aubrac, il dut repousser une attaque de brigands; au retour, il se perdit dans une tempête de neige.
La naissance de la dômerie-la règle de Saint Augustin
On dit alors qu'il fit voeu de construire un hôpital et un monastère, refuge et abri pour les pèlerins de passage. Les travaux firent sortir de terre un couvent et un hôpital, gérés par des
religieux vivant selon la règle de saint Augustin, sous la direction d'un prieur (le "dom", qui n'est donc pas un bénédictin, contrairement aux apparences).
Cette règle imposait la vie commune, le silence, la chasteté, l'obéissance et l'abstinence de viande plusieurs jours par semaine et à l'occasion de certaines fêtes religieuses. La
domerie dépendait directement du pape. Les religieux pouvaient nommer eux-même le dom.
Soigner, nourrir, prier, protéger
Telles étaient les principales vocations de cet établissement. Pour les assurer, il disposait d'un personnel important.
Les donats, frères laïcs ayant fait le triple voeu (pauvreté, obéissance, chasteté) s'occupaient des exploitations agricoles où on tirait de la terre de quoi satisfaire les appétits les
pèlerins... Les possessions de la domerie étaient importantes, comprenaient des pâturages, des prés, des bois et des vignes. L'élevage était un activité importante (1800 brebis en 1663).
Les prêtres célèbraient sur place les offices; on dit qu'il y en eut jusqu'à cinquante sur place. Les frères et les soeurs s'occupaient des malades à l'hôpital construit sur place. Enfin, les
chevaliers se chargeaient de maintenir l'ordre et de protéger les pèlerins des attaques des maraudeurs.
L'église
C'est une belle construction sur laquelle j'ai pour l'instant bien peu d'informations. Le clocher actuel date de 1467. Un détail amusant que l'on peut noter : on y trouve Maria, que l'on
appelle parfois "la Cloche des perdus" (1772). C'était en effet elle dont le son guidait les pèlerins égarés dans la nuit, la brume, la neige... L'inscription qu'elle porte nous rappelle les
pouvoirs merveilleux que nos ancêtres prêtaient aux cloches :
Deo jubile Clero canta Daemones fuga Errantes revoca |
Jubile pour Dieu, Chante pour les clercs, Chasse les démons, Rappelle les égarés |
La Tour des Anglais (photo)
C'est une construction imposante, toute de pierre rouge. Elle fut achevée en 1353 ; comme la date et son nom
l'indique, elle fut donc achevée pendant la Guerre de Cent Ans. Nul doute que l'Aubrac eut alors à souffrir des déprédations des bandes de soldats ou de routiers... La tour était englobée dans
les fortifications aujourd'hui disparues. Les fenêtres révèlent évidemment qu'elle a subi des aménagements postérieurs, lors de périodes moins tourmentées.
Une histoire monumentée
La richesse de la domerie a dès le départ suscité les convoitises, et en particulier celle des ordres religieux militaires, Templiers et Hospitaliers. Les fameux
Albigeois ne firent pas preuve de détachement des biens matériels en cette occurence, vu qu'ils essayèrent aussi de s'en emparer. Malgré la tour et les fortifications, les Anglais
l'occupèrent de 1370 à 1385. Pendant les guerres de religion, les Huguenots (1569) l'occupent et les Ligueurs la ravagent (1595). En 1793, les derniers frères sont expulsés. Il faudra attendre la
fin du XIXe siècle pour que l'on commence à restaurer la dômerie.
Bref...
Les bâtiments subsistants forment comme un oasis de pierre sur ce plateau grandiose et désolé... Quand je me promène à Aubrac, je médite sur le courage de ces gens qui firent le
pari dans une époque d'insécurité, de s'installer dans un lieu aussi isolé et dangereux, et qui sont même parvenus à y prospérer. C'est la grandeur de l'homme de pouvoir s'adapter au lieu le
plus hostile, pour y vivre selon les idéaux qu'il s'est donné. Folie qui est un écho à une autre folie, celle des pèlerins jetés sur des chemins, sans assurance de retour, mais mus par un
rêve...
D'autres articles viendront dans les jours prochains sur les merveilles de l'Aveyron. Restez donc à l'écoute.
Localiser Aubrac sur la carte interactive
Sources
L'Aveyron d'Alain Drignon, Fil d'Ariane éditeur. De superbes photos et de nombreux détails historiques.
Liens
Dans un site personnel sur l'Aveyron, une belle visite érudite et en images de la domerie
Visite du village d'Aubrac (Aveyron
tourisme)
La domerie d'Aubrac
(Chamina)