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Le Pays cathare ou Languedoc (Ariège, Aude, Haute-Garonne, Tarn)...

Venez y découvrir
les lieux méconnus...

...qui vous parlent de l'histoire, du patrimoine, des légendes du sud de la France.

Un monde si proche et si lointain de châteaux, de villages perchés, de pics et de forêts profondes s'ouvre désormais à vous.



"Les êtres et les choses sont créés et mis au monde non pour la production mais pour la beauté"
Joseph Delteil

 

"Ne soyez pas des régionalistes. Mais soyez de votre région."

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"Celui qui n'a pas de passion, il ne lui sert à rien d'avoir de la science."

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25 février 2012 6 25 /02 /février /2012 08:43
Entre Durfort et les Cammazes s’étend une vallée de mauvaise réputation. Les anciens y voyaient un lieu infernal, hanté par les diables et les revenants, et en avaient fait la vallée de la fin du monde. Quoi de plus normal que s’érige en son milieu une ruine mystérieuse où Satan lui-même tient sa cour : la tour du diable, ou le château de Roquefort.
 
Les légendes de la tour du diable et de la vallée de la Fin du monde.
 
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Les noms de lieux  de la vallée disent la terreur folle éprouvée par les anciens. Une ancienne cascade se trouvait au lieu-dit Malamort, endroit maudit et effrayant où plus d’un avait perdu la vie et connu la male mort, nous dit le docteur Clos au début du XIXe siècle :  
 
« Le Sor, se trouvant arrêté dans son cours, forme d’abord une cascade, et s’engage immédiatement après dans un canal étroit, oblique et presque vertical, pour se précipiter avec fracas dans le gouffre connu sous le nom de Malamort, parce qu’il a été funeste à plusieurs pécheurs. C’est la chute d’eau la plus belle, la plus pittoresque qu’il y ait dans toute la contrée. Le bruit qui en résulte dans le vallon ne contribue pas peu à augmenter l’horreur qu’inspire ce lieu sauvage… »
 
Aux alentours, les noms de lieux résonnent d’anciens meurtres, massacres et assassinats : ainsi, un « ravin des pendus » semble évoquer des exécutions sommaires. Commises par qui, à quelle époque ? Il est également question d’un « ravin des criminel », d’une « combe des gors ».
 
Légende du château de Roquefort.
 
Mieux, il est question de présences diaboliques qui hanteraient les lieux. Certains évoquent des revenants : sont-ce les victimes des atrocités évoquées par les noms de lieux ? Les présences hostiles se concentreraient dans la vieille tour ruinée de Roquefort, que certains appellent la tour du diable. Ce lieu présente en effet au visiteur un aspect d’abandon qui n’est pas sans évoquer des idées noires.
Le château s’élève sur un mamelon granitique. On y entre par une porte voûtée. 

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On accède alors à la partie basse du château comportant les vestiges d’une dizaine de réduits (des habitations ?). Enfin, on montre à la tour elle-même, le donjon, qui s’élève à l’angle nord-est d’un monticule. Elle comporte plusieurs étages : une pièce carré autrefois voûtée, et dont un des murs a été éventré. Dans le sol de cette salle, une trappe s’ouvre qui donne accès à une salle souterraine. Sans doute, ces deux salles étaient-elles des cachots, tandis qu’au troisième niveau de la tour s’élevait le logis seigneurial. 
 
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Les légendes locales nous parlent de parties inaccessibles du château. Il est question d’un souterrain que les anciens habitants du castel empruntaient, et qui conduisait vers un autre château : peut-être celui de Berniquaut à Sorèze ou le Castellar de Durfort. La tour ne serait donc que la partie émergée d’un complexe de souterrains, dans l’imagination populaire. Tous ces vieux châteaux de la vallée de la fin du monde, nous dit Jean Mistler dans ses souvenirs, étaient réputés abriter des trésors :
 
« … le Bout du Monde, c’était la fin de l’univers connu, et la porte du monde féerique, des gazons de montagne qui sonnent creux sous les pas, des souterrains dont l’entrée est perdue, mais qui s’ouvrent avec leurs trésors la nuit de Noël, juste pendant que sonnent les douze coups de minuit. »
 
Les origines historiques du château de Roquefort.
 
Nous avons évoqué avec amour ces belles légendes, mais qu’en penser ? Relèvent-elles de la fantaisie pure, ou y a-t-il un soupçon de vérité ?
La réputation du château maudit de Roquefort semble référer à deux événements historiques : la présence de proscrits, hérétiques et de bandits, à deux époques de son histoire.
 
Les cathares à Roquefort.
 
Roquefort a en effet donné asile aux cathares, nous disent les historiens. Le château a été bâti au Xe siècle sans doute ; il est mentionné pour la première fois en 1035. Au XIIe, Roger, vicomte de Carcassonne, l’attribue à la famille de Roquefort, qui lui donne son nom. Lors du développement du catharisme, la famille de Roquefort semble avoir pris le parti de l’hérésie, comme les seigneurs de Saissac dans le voisinage.
 
C’est ainsi que vers 1209, l’armée de Simon de Montfort se présente devant le château de Roquefort pour en faire le siège, mais il le trouve vide. Les habitants du château avaient fui, ou bien dans la forêt, ou bien, nous dit la légende, dans un souterrain. Ce qui fait que le château de Roquefort, contrairement à beaucoup d’autres (Montségur), n’a pas été détruit ou reconstruit et est encore aujourd’hui formé des mêmes pierres qu’à l’époque des cathares ! 
 
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L’un des membres de la famille de Roquefort, Guillaume, était un fidèle des Trencavel et avait assassiné en 1209, près de Muret, l’abbé d’Eaunes, important dignitaire catholique. Il mourut en 1211 lors du siège de Toulouse. Son fils Jourdain était un faidit (chevalier banni), frère et beau-frère de croyantes cathares, et sans doute croyant lui-même. Etabli au château de Montgey, il y donnait asile aux parfaits. Bec de Roquefort, qui se trouvait au château de Roquefort lors de l’arrivée des croisés et s’était enfui sans combattre, était également croyant.
 
En 1233, une assemblée cathare, conduite par le diacre Guilhem Vidal, se tient au château de Roquefort. Les Roquefort et d’autres nobles locaux y entendent une prédication. Quelques années plus tard, les femmes du château de Roquefort empêchent l’abbé de Sorèze et ses hommes de procéder à une arrestation. Lorsque les persécutions contre les cathares s’intensifient, le château devient un relais pour les cathares locaux qui devaient partir se réfugier en Lombardie (années 1260), pays où le catharisme était alors toléré.
 
L’occupation des bandits.  
 
Mais le rôle important du château de Roquefort pendant l’hérésie cathare ne peut expliquer sa mauvaise réputation. Les seigneurs cathares et les croyants étaient bien tolérés dans le coin et semblaient avoir la sympathie de la population : rien qui n’ait pu laisser le souvenir de personnage diaboliques. Il faut donc chercher un autre épisode sanglant.
 
Celui-ci remonte à une période plus récente de l’histoire du château : la guerre de cent ans et ses suites. En 1360 est signé le traité de Brétigny où le roi de France Jean le Bon reconnaît sa défaite conte les anglais : la moitié du royaume passe sous domination anglaise. Les troupes de guerre errantes, inoccupées se reconvertissent alors dans le brigandage : ce sont les grandes compagnies. Certaines se sont installées dans les châteaux de la Montagne noire occidentale. Une compagnie occupe ainsi le château de Roquefort à partir de 1361.
 
La vie des brigands à Roquefort.
 
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Lorsqu’on parle d’une compagnie de brigands, on s’imagine souvent un groupement temporaire et sans permanence. Or, les brigands s’étaient au contraire installés durablement dans le château de Roquefort : il y avait des artisans à leur service (forgerons, maréchaux-ferrants, tanniers, couteliers, comme en attestent des débris de fers, de fusaiolles, de fers à cheval…). Il est dit que certains d’entre eux, anglais d’origine, maîtrisaient le travail du cuivre, qu’ils auraient par la suite introduit dans le village de Durfort, toujours réputé aujourd’hui pour ses usines d’objets en cuivre. 
 
La communauté des voleurs fut sans doute touchée par des épidémies de peste ou de lèpre. Les morts furent enterrés à l’église de Saint-James ; on peut rapprocher cet épisode de la tradition qui place une léproserie à Malamort.  
 
Pendant que certains travaillaient au château, d’autres se livraient au banditisme de grands chemins, donnant peut-être lieu aux exactions qui sont restées dans la légende. En 1415, les compagnies furent chassées du château, mais revinrent bientôt. Ce ne fut qu’en 1417 que le roi fit opérer des destructions dans le château pour le rendre inhabitable et empêcher la future installation de brigands.
 
Conclusion sur la légende.
 
La vallée de la fin du monde aurait donc gagné sa mauvaise réputation comme repaire de brigands. Ce sont donc eux les criminels et les diables évoqués dans la légende, peut-on penser vraisemblablement. Quant aux pendus, est-ce que ce sont les victimes des bandits, ou les bandits eux-mêmes exécutés par les troupes du roi de France ? Nul ne le saura jamais.

Libre à vous, promeneur, de venir dans ces lieux autrefois troublés, et aujourd’hui si paisibles, pour méditer sur l’histoire et ses vicissitudes.
Il n'y a sans doute jamais eu de diable à Roquefort, sauf si l'on nomme ainsi les proscrits et les révoltés de toutes les époques qui s'y sont succédés.

Caché dans sa vallée, Roquefort brille à jamais de sa lumière noire.
 
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Bibliographie.
 
J. Albarel, Roquefort-les-Cammazes, dix siècles à l’ombre d’un château.
J-A Clos, Histoire de Sorèze.
J. Mistler, Le Bout du monde.

Jean Odol (article paru dans Couleur Lauragais) www.couleur-lauragais.fr/pages/journaux/1998/cl4/reportage.htm

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6 mars 2010 6 06 /03 /mars /2010 08:18

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Le beau lac de Saint-Ferréol, un lieu idyllique de villégiature? Peut-être. Mais peu de gens connaissent la terrible histoire de la tête de saint Loup, qu'on se murmure ici en tremblant à la veillée ! Alors écoutez l'histoire, internautes, si vous en avez le courage! 

La métairie de Bascaud.

Autrefois existait, au bord du lac de saint-Ferréol, une ferme du nom de Bascaud. Dans l'étable se trouvait une statue. D'assez bonne facture, elle représentait une tête d'homme. Elle évoquait le style des scupteurs du XVIIe siècle. On l'appelait, nul ne sait pourquoi la statue de saint Loup. Elle était dans la ferme depuis toujours, appuyée sur un pilier. 

Les premiers méfaits de la tête.

Un jour, le métayer la déplaça pour une raison inconnue. La nuit, on entendit un remue-ménage épouvantable dans l'étable : les animaux n'arrêtaient pas de crier et de s'agiter. Et bien sûr, quand on allait voir, rien ni personne... Les fermiers remirent la statue en place le lendemain et tout rentra dans l'ordre. Ils se jurèrent bien de ne plus jamais y toucher... 

Des soeurs qui étaient à Dreuilhe, un village voisin, apprirent l'existence de cette statue. Elle s'indignèrent hautement de ce qu'une statue de saint était conservée dans une étable. En procession, elles vinrent la chercher et la ramènèrent à leur couvent de Dreuilhe. C'est alors qu'une épidémie épouvantable se déclara à la ferme de Bascaud. Les bêtes mourraient les unes après les autres... On dut ramener saint Loup à l'étable. La femme du fermier la remit à sa place, contre le pilier, et lui offrit des fleurs. Peu après, l'épidémie cessa. 

Suite des méfaits...

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Plusieurs siècles s'écoulèrent: la révolution, le XIXe siècle, la première guerre mondiale passèrent sans que jamais on ne touchât à la mystérieuse tête. Mais, aux alentours de la deuxième guerre mondiale, les propriétaires du château de L'Encastre, auxquels appartenaient la ferme, aperçurent la tête. Une telle oeuvre d'art, dit le châtelain, ne doit pas rester dans une étable. Et il la prit au château, ce qu'il regretta amèrement, ainsi que tout son entourage...

Le châtelain et sa famille furent assaillis de malheurs. Maladies prrocès, problèmes financiers... Les catastrophes succédaient aux tracasseries. On dit même que l'homme qui transporta la tête mourut peu après, miné par un mal foudroyant et mystérieux, inconnu des médecins. Puis, quelqu'un "qui savait" vint parler aux propriétaires. Ceux-ci remirent la tête dans l'étable, et la mauvaise fortune se tarit. 

Quelques années plus tard, les terrains de Bascaud furent vendus (avec la tête), à de riches toulousains. la métairie fut alors abandonnée. Elle était ouverte à tous les vents. Elle devint le quartier général de la jeunesse désoeuvrée de Sorèze, Revel et même Toulouse. Et saint Loup dans tout cela? Parmi les jeunes gens qui fréquentaient Bascaud, on en montrait un qui avait eu "les cheveux blancs avant l'âge". La tête mystérieuse avait donc encore frappé... 

Un jour, l'épouse du nouveau propriétaire interrogea un sage habitant du coin: y croyez-vous, à cette malédiction de saint Loup ? Le sage resta un moment pensif et, d'un air mystérieux, répondit: Quant votre mari est mort, c'était pas après avoir acheté la métairie ?  

Qu'est-il devenu de la tête aujourd'hui? Quelqu'un aurait dit un jour aux propriétaires de l'Encastre cette phrase sibylline : Saint Loup ne fera plus de mal. Que fallait-il comprendre par là? 

Aujourd'hui encore, la tête mystérieuse fait jaser dans le canton de Sorèze. Une certaine famille était supposé posséder la tête: cela expliquerait poruquoi la fille aînée avait été renversée par une voiture, ou pourquoi le fils avait aussi péri de mort violente.

Une belle légende: mais qu'est-ce qui est vrai ?

J'ai entendu cette légende racontée par M. Blaquière, en 1997, lors d'une soirée de contes à Sorèze. manifestation fort agréable et trop rare!

On peut la classer dans les récits d'objets ou de lieux maudits. Ces récits pullulent un peu partout.

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Toujours est-il que la métairie de Bascaud existait vraiment. Elle figure sur la carte de Cassini (XVIIIe siècle, photo ci-dessus) sous le nom de Pascole, à côté de l'Encastre (orthographié l'Enclastre). L'histoire de Revel du Frère Léodère Géry évoque un prieuré saint-Georges de Bascaud. Il faudrait vérifier l'info.  

J'ai lu quelque part que saint Loup était un saint invoqué contre la peur, peut-être en raison de son homonymie avec le loup (l'animal). Mais je ne sais rien d'autre... Cette légende gardera donc son mystère.


Photo.
 
Le lac de saint-Ferréol (en tout petit petit) vu de la montagne de Berniquaut toute proche. Photo de J.M Maurin parue dans Couleur Lauragais. www.couleur-lauragais.fr/pages/journaux/2003/cl54/rando.htm

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17 juillet 2009 5 17 /07 /juillet /2009 22:57

"Lustucru": un nom qui évoque une marque de pâtes bien connue des Français... Les vieilles publicités de la marque (ci-contre), ainsi que la chanson de "la Mère Michel" (vers 1820) nous apprennent l'existence d'un "père Lustucru".

C’est la Mère Michel qui a perdu son chat
Qui crie par la fenêtre à qui le lui rendra.
C’est le père Lustucru qui lui a répondu:
Allez la Mère Michel vot’ chat n’est pas perdu.

Ennemi des innocents félins, le personnage n'avait pas grand-chose pour plaire. Hélas, je crains avoir à verser des pièces encore plus accablantes au dossier. Le personnage semble avoir dans son passé, torturé de pauvres femmes et terrorisé les enfants de Narbonne et de Montpellier...

Lustucru, bourreau de femmes au XVIIe siècle

Les plus anciennes mentions et représentations de Lustucru datent du XVIIe siècle. Il est devenu célèbre principalement par une série de gravures qui le mettaient en scène, au cours des années 1660. D'après le témoignage du mémorialiste Gédéon Tallemant des Réaux

"quelque folâtre s'avisa de faire un almanach où il y avait une espèce de forgeron grotesquement habillé, qui tenait avec des tenailles une tête de femme, et la redressait avec son marteau. Son nom était L'eusses-tu cru, et sa qualité, médecin céphalique, voulant dire que c'est une chose qu'on ne croyait pas qui pût jamais arriver que de redresser la tête d'une femme".

Voici donc l'énigme du nom élucidée. Lustucru est "l'eusses-tu cru", le médecin qui ne peut exister, car nul ne peut redresser la tête d'une femme... Il faut se reporter au contexte de l'époque. Le mouvement de la préciosité a commencé à donner aux femmes des aspirations à la culture, à plus de considération, qui ne sont guère du goût de tout le monde...


La gravure décrite par Tallemant a été conservée. On y voit des femmes traînées de force chez "l'opérateur céphalique" par leurs maris, qui promettent des pourboires aux forgerons s'ils font diligence... La légende précise l'efficacité de la méthode employée par Lustucru et ses assistants.

De quelque qualité que leur tête pusse [sic] être
Nous y mettrons si bien la lime et le marteau
Que la lune en son plein fût-elle en leur cerveau
Au sortir de chez nous vous en serez le maître.


Un âne, symbole du cocuage, "chargé de fourberie" apporte de paniers remplis de têtes de femmes. Femmes fourbes, bavardes, lunatiques, désobéissantes, infidèles, ou bien, selon la légende vraies "diablesses"... La misogynie traditionnelle s'exprime ici, et Lustucru en est le champion. On peut le voir vêtu d'un béret, tenant d'une main une tête de femme avec des tenailles, et de l'autre abattant un marteau. Il y a peut-être aussi une apologie de la violence conjugale (dont on sait à quel point elle est meurtrière, encore aujourd'hui).

Les femmes vengées de Lustucru

Sur une gravure de 1663 (La grande destruction de Lustucru par les femmes fortes et vertueuses), c'est au tour des dames de donner une bonne leçon à Lustucru. Sur cette gravure, l'encéphale du pauvre forgeron est impitoyablement broyé à coup de marteau, tandis que les femmes décapitées par Lustucru retrouvent enfin leur tête... Symbole de la femme enfin maîtresse de sa vie ?

Les aventures d'un mot

Ce Lustucru semble en fait avoir été un personnage de Carnaval et un géant. Le terme, au XVIIe siècle, était devenu synonyme de vaurien d'homme vil, honteux, méprisable; c'était une insulte. D'ailleurs, les paysans révoltés du Nord de la France, en 1662, étaient connus sous le nom de "Lustucrus" : nom qui signifiait bien le mépris qu'on portait à ces pauvres crève-la-faim. Au XIXe siècle, le terme de "lustucru" s'est affadi, et désigne un innocent, un niais selon Charles Rozan.

Lustucru bourreau d'enfants

Hasards de la tradition orale et du colportage ? On retrouve Lustucru au siècle dernier dans une berceuse destinée à effrayer les enfants de Narbonne et Montpellier.

C'est le Grand Lustucru qui passe
Qui passe et qui repassera
Emportant dans sa besace
Tous les petits gars qui ne dorment pas.


Voilà donc notre opérateur céphalique transformé en croquemitaine ou en ogre... Comme si cela ne suffisait pas, d'autres couplets étaient encore plus terribles.

Quelle est cette voix démente
Qui traverse les volets ?
Non, ce n'est pas tourmente
Qui passe sur les galets.
C'est le Grand Luctucru qui gronde
Qui gronde et qui grondera.

D'après un témoignage, cette chanson terrorisait les enfants ! Un bon moyen pour les calmer avant d'aller au lit...

Du géant au vendeur de pâtes

Un personnage aux multiples formes, porté par la tradition orale. Tous les avatars de Lustucru ont des points communs : c'est une figure caricaturale du mâle adulte, qu'il soit père ou du mari. Il est grand et puissant, mais abuse de sa force. Il est violent, s'attaque de préférence aux femmes et aux enfants. C'est un forgeron difforme, puissant et potentiellement cocu comme le Vulcain de la mythologie., Il est le fantoche grotesque et ridicule dont les époux menacent leurs femmes et les mères leurs enfants.

Pourquoi en avoir fait la mascotte d'une marque de pâtes ? Tout simplement parce qu'avec le temps, le personnage avait perdu ses aspects sombres, était devenu sympathique, synonyme de rire... Peut-être aussi parce que Lustucru était resté malgré tout une figure de géant. Utiliser son image, c'est suggérer, inconsciemment, que les nouilles sont assez nourissantes pour vous rendre aussi fort que lui... Les publicitaires ont toujours été forts pour ces associations d'idées.

L'idée d'utiliser Lustucru dans la réclame des pâtes semble venir de l'illustrateur Forain, à l'issue d'un concours ayant mobilisé plusieurs dessinateurs. Voici ce que dit le site de la marque.  

"Parmi plus de 300 envois, le projet Synave est retenu. Il représente une boîte de pâtes alimentaires décorée d’un damier bleu et blanc. C’est raconte-t-on lors de la remise des prix au restaurant Ledoyen, que, dans l’euphorie générale, Forain lance le nom de Lustucru, personnage de fantaisie issu de la culture populaire française. Forain dessine également la silhouette joviale du Pèr’Lustucru qui va personnaliser la marque durant de nombreuses années."

Le forgeron croquemitaine s'est mué en bon vivant rigolard !

Vu par Robj en 1929

Petite chronologie du Père Lustucru
1660. Premières gravures où Lustucru apparaît.
1663. "La grande destruction de Lustucru par les femmes fortes et vertueuses".
v. 1820. Apparaît dans la chanson la Mère Michel
1911. Une fabrique de pâtes grenobloise, Cartier-Millon, prend le Per'Lustucru comme emblème.

Sources
1860. Ch. Rozan, Petites ignorances de la conversation (3e éd.).
1940. G. Brizard, "La légende de Lustucru", Revue de folklore français et de folklore colonial.
1984. J.-P. Piniès, Croyances populaire des pays d'Oc.
Site de la marque Lustucru

Illustrations 
Gravures du XVIIe siècle, extraites d'un site canadien sur le mariage sous l'Ancien régime
Vieilles réclames pour les pâtes Lustucru, empruntées aux sites : Allposters.com, Chicago center for the print. et ce site sur les loisirs créatifs.  

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28 février 2009 6 28 /02 /février /2009 09:43

Il est dans les traditions orales du monde entier un motif récurrent : les habitants d'un village ou d'une région sont les acteurs de balourdises ou d'exploits grotesques, qui les font passer pour des simplets ou des benêts. Aux alentours du Lauragais et de la Montagne noire, deux villages semblent avoir cristallisé ce genre de récits : le Vaux (près de Saint-Félix Lauragais, Haute-Garonne) et les Cammazes (dans la montagne noire tarnaise).

Il ne faut pas chercher dans ces récits un intention maligne, plutôt un besoin de raconter des histoires savoureuses, et de passer pour plus intelligent que son voisin... Rien n 'a changé aujourd'hui, non ?

Les habitants des Cammazes qui avaient perdu leur bon Dieu

Cette histoire est rapportée par R. Jalby, dans son folklore du Languedoc (si mes souvenirs sont bons...).

On raconte que jadis, les habitants des Cammazes crurent avoir perdu leur bon Dieu. Ils formèrent une délégation et se rendirent à nombre à Revel. Là, un plaisantin affirma qu'il pouvait le leur rendre. Il enferma un papillon dans un coffret ou un sac, et le tendit aux habitants du village de Montagne, en leur disant bien de ne pas l'ouvrir avant d'être arrivés à destination. Toutefois, chemin faisant, la tentation fut trop forte... Les villageois ouvrirent le réceptacle, et le papillon s'envola. Tous alors, paniqués, de supplier ce "bon Dieu" de revenir avec eux aux Cammazes : "Cap as Cammazes, pitit Jesus".

 

Les habitants du Vaux et le soleil

 

Une histoire amusante, racontée par les Bézian dans Les Dernières heures des moulins occitans

Les habitants du Vaux allaient au marché de Revel. Mais ils se plaignaient d'avoir le soleil levant en face à, l'aller, et le soleil couchant au retour. Ils allèrent s'en plaindre comme d'une injustice. On leur dit alors de partir la veille, pour avoir le soleil dans le dos... 

Bref... 

Une réflexion sur la bêtise, et comme dit Fée, celle des autres nous renvoie aussi à la nôtre ! 

(Ps: désolé pour cet article qui s'est publié deux fois et inachevé contre ma volonté... Ce blog est une vraie jachère en ce moment, je n'ai guère le temps de m'en occuper, et je m'en excuse).

 

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25 décembre 2008 4 25 /12 /décembre /2008 18:05



Cette histoire se passe dans une ère sombre. Une période de terreur... Le monde était alors dominé par de sinistres repaires de brigands sans foi ni loi.

Dans la région de Lacaune vivait Etbert d'Estouges. On disait qu'il était comte, mais il avait depuis longtemps abandonné toute idée de noblesse. C'était un bandit sanguinaire, qui se plaisait dans le vol, le meurtre et la désolation.

On ne le connaissait plus que sous le nom de "Comte rouge".

Mainte vieille décharné, maint père de famille avait succombé sous son glaive maculé de sang innocent, ou sous les coups des fieffés coquins qui lui servaient de compagnons.  

Les imprécations des victimes d'Etbert montaient jusqu'aux oreilles divines. Tant de crimes allaient-ils restaient impunis ? Ou la justice allait-elle enfin être rendue contre le diabolique bandit ?

C'était le premier dimanche de l'Avent. Les premières neiges étaient tombées. Dans le vieux moustier, les pauvres paysans frigorifiés allaient chercher un peu de réconfort, au plus froid de l'hiver.

Soudain, un bruit de cavalcade : c'est Etbert et ses hommes qui surgissent derrière un talus, au galop. Ils sont précédés par d'imposants molosses musculeux et écumants. En voyant les pauvres gens qui se rendaient à l'Eglise, Elbert partit d'un éclat de rire tonitruant, plein de mépris, et lança son destrier sombre comme la nuit vers la montagne...
Le comte rouge partait à la chasse.

Quelques minutes plus tard retentit un bruit tonitruant. Le tonnerre n'avait jamais frappé aussi fort, même au coeur de l'été. A la place d'Etbert et de ses chasseurs, comme volatilisés par un éclair, se tenait un énorme gouffre qui s'était ouvert comme par enchantement sous les sabots de leurs chevaux.

Depuis, on raconte dans la région de Lacaune une étrange histoire. Si vous allez le premier dimanche de l'avent, près de l'Aven de Bassevergne, vous entendez distinctement les cris d'Etbert, de ses compagnons et de leurs chiens, condamnés à chasser une proie invisible, jusqu'à la consommation des siècles.

***

Quelques commentaires. 

Cette légende est librement réécrite par moi, d'après le poème de Léon Bouisset dans ses Légendes des Monts de Lacaune

Des enquêtes orales récentes, menées par le groupe de la Talvera, ont montré que la légende d'Etbert d'Estouge, racontée par Bouisset, avait été élaborée à partir d'une tradition populaire encore vivace aujourd'hui. 

"Il y a le trou de l'aven comme on l'appelle là à Bassevergne. Il y a un grand trou au milieu d'un terrain et soi-disant que c'était un seigneur qui était allé à la chasse un jour de..., un dimanche, je ne sais pas de quelle fête... Je ne m'en rappelle plus très bien maintenant. Je ne sais pas si ce n'était pas le jour de l'Avent. La terre s'ouvrit et s'engloutit soi-disant. Ce trou s'est ouvert pour les punir et tous furent engloutis là dedans. C'est un grand trou de forme arrondie". 

L'histoire d'Etbert se place dans la lignée de celle des chasseurs maudits, bien représentés dans toute la France. Le déroulement de l'histoire est stéréotypé: un seigneur refuse d'aller à la messe ou la quitte en plein milieu, pour aller chasser. Il est condamné pour cela à chasser perpétuellement. Souvent, c'est le roi Arthur qui est le personnage principal de cette histoire, comme en témoigne par exemple le Trésor des antiquités gauloises du castrais Pierre Borel (XVIIe siècle).

Certains de ces chasseurs maudits s'appellent Rébert ou Robert, ce qui n'est pas loin du nom d'Etbert, le chasseur maudit de Lacaune. Selon les endroits, la chasse maudite elle-même est appellée "Chasse Galleri" ou "Charroye".

Souvent, la scène a lieu à Pâques. Mais dans beaucoup de versions du conte, c'est lors de la période de l'avent, voir à Noël même que le chasseur maudit pèche et est condamnée à l'errance perpétuelle. 

Evidemment, la leçon de ces légendes semble très simple. L'Eglise voulait sans doute inculquer la nécessité d'aller à la messe, notamment aux grandes fêtes. Mais si on creuse un peu plus, il apparaît que cette légende est beaucoup moins anodine qu'à la première vue. 

En effet, les histoires de chasses nocturnes ou de chasseurs se rapportent au motif plus global des légendes concernant les cortèges nocturnes des maudits. Longue procession, tantôt des âmes des morts, tantôt des démons, qui défilent à la suite d'Hellequin ou de dame Holda, dans les légendes médiévales. Il y aurait aussi la mythologie germanique où les guerriers morts au combat, à la suite de Wotan, chevauchent dans les airs en provoquant tempêtes et orages. 

Selon certains chercheurs, ces légendes de chasseurs maudits remonteraient très loin dans le temps. Elles seraient le vestige de très anciennes pratiques où les hommes combattaient en extase ou en rêve contre des forces diaboliques pour assurer la fécondité de la terre. L'historien italien Carlo Ginzburg s'est fait le défenseur de cette thèse dans son livre traduit en français sous le titre Le Sabbat des sorcières. L'hypothèse est séduisante, mais très spéculative. Elle a néanmoins le mérite de s'appuyer sur un exemple historiquement attesté, celui des Benandanti du Frioul.

Sources.

Bouisset, Légende des monts de Lacaune.
Ginzburg, Le sabbat des sorcières.
Marliave, Panthéon Pyrénéen.

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26 juillet 2008 6 26 /07 /juillet /2008 00:45

 


J’ai déjà évoqué dans un précédent article le château de Roquefort, ancien castrum surplombant les rives du Sor dans la Montagne noire (commune des Cammazes-Tarn). Il a été occupé par des cathares, puis les bandits des grandes compagnies… Ce dernier épisode aurait pu être à l’origine de la réputation sulfureuse du lieu, selon J. Albarel.

L’ouvrage très riche de D. Loddo, Légendes d’Occitanie, est une mine de renseignements pour tout ce qui touche aux récits de la tradition populaire. Les témoignages oraux, recueillis dans les livres, ou directement par des informateurs, y sont retranscrits avec une fidélité minutieuse.

Quelle n’a pas été ma surprise d’apprendre qu’il existait deux autres légendes que j’ignorais ! Les voici avec de vieilles cartes postales d’un lieu proche, le gouffre de Malamort.

Le dragon de Roquefort.

On savait déjà, par un cadastre du XVIIIe siècle cité par J. Odol, que le château de Roquefort s’appelait la « Tour du diable ». L’ouvrage de D. Loddo nous apporte une info qui va dans le même sens. Un dragon aurait habité dans ces lieux. Etait-ce la figure animale traditionnelle du mal et de Satan ? Ou bien, comme dans tant d’autres coins d’Occitanie, un drac, démon aquatique associé au cours d’eau qui passe à proximité, le Sor ? On ne nous en dit pas tant, et c’est bien dommage.

En tout cas, qu’il soit démon ou drac,  ce dragon confirme, par sa présence dans la tradition orale, la réputation sulfureuse des lieux. Il ne faut pas oublier que la vallée du Sor où se trouve le Castrum de Roquefort était la « Vallée de la fin du monde », endroit maléfique où l’on trouvait, par exemple, une « combe des pendus », un « ravin des criminels ».  

Carte postale de Malamort.

 Cette carte représente la cascade de Malamort.

Près de la tour de Roquefort, le lieu-dit Malamort ("mauvaise mort") avait lui aussi mauvaise réputation. La rivière s’y précipitait dans un gouffre avec fracas. Plusieurs pêcheurs imprudents auraient d’ailleurs éprouvé, à leurs dépens, la dangerosité du lieu… On peut se faire une idée du paysage avec cette ancienne carte postale.

  Il ne manquait plus dans ce lieu qu’une légende tragique, bien en accord avec la majesté sublime du et désolée lieu. La voici…

 Histoire tragique de Malamort.

« La légende veut que la fille d’un des seigneurs [de la famille de Roquefort] promise à un mari qui n’était pas l’élu de son cœur se soit noyée dans le gouffre de Malamort. Certains racontent même qu’elle se serait jetée du haut de la tour jusque dans le gouffre, chose impossible du fait de la distance ».

Bref…

Ces légendes sont brèves, effectivement… Mais même quelques feuilles arrachées au livre de l’oubli sont précieuses, en particulier lorsqu’elles touchent un lieu cher à mon cœur, depuis mon adolescence.

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10 avril 2008 4 10 /04 /avril /2008 10:24

 Sans doute aucun lieu de la Montagne noire (Aude) n’est plus secret que celui-là. Dans l’étroite vallée où l’Alzeau se fraie un chemin en mugissant s’élève, sur un à-pic vertigineux, une étrange ruine. Elle est inconnue des historiens, mais les habitants disent qu’il s’agit d’un ancien prieuré hanté, qui recèle en ses entrailles un trésor mystérieux.

 


La légende de l’abbaye.

 

 

 

Les guerres de religion. La France était dévastée depuis des années par des affrontements fratricides entre le parti catholique et le parti protestant. C’était une guerre civile où le prétexte religieux faisait bon ménage avec les intérêts individuels et politiques…

Loin des combats, dans ce coin désert de Montagne noire, s’élevait le prieuré des Tours-Nègres. Elles devaient leur nom à la couleur noire de leurs pierres. C’était un prieuré qui dépendait de l’abbaye de Montolieu : il était donc aux mains des bénédictins.

Comme chaque année, les moines allaient célébrer la messe de Noël dans la chapelle des Tours-Nègres. La cloche sonnait dans la campagne engourdie par la froide nuit d’hiver. A ce moment-là, une petite troupe de protestants partis de Cuxac, à la poursuite d’un chevreuil, se regroupa devant l’entrée du prieuré, attirée par le son des cloches. On dit qu’alors l’odeur du festin préparé pour le réveillon vint chatouiller leurs narines, ainsi que l’espoir d’un pillage facile et profitable. La porte était entr’ouverte, le gardien étant allé à la messe…

« Allons-y, pas de quartier ! »

Les envahisseurs se précipitèrent dans la chapelle. En peu de temps, tous les moines furent massacrés. Le sacristain, un peu sourd, continuait à sonner les cloches ; l’un des reîtres le frappa d’un coup de hache à l’épaule, lui sectionnant le bras qui resta accroché à la corde, alors que son corps tombant inanimé à terre. Le prêtre, quant à lui, agonisait au pied de l’hôtel, la tête fracassée…

Le soldats, après avoir englouti le repas des moines, pillèrent les maigres biens de l’abbaye et y mirent le feu.

 


 

L’abbaye hantée.

La légende ajoute une histoire de fantômes. Si l’on se risque à venir aux Tours-nègres la veille de Noël, on peut voir le bras levé du sacristain qui sonne encore et encore sa cloche. Il est dit en effet que tous les autres moines sont entrés dans la paix de la mort, mais que le sacristain, comme le curé des Quatre messes basses d’Alphonse Daudet, avait été puni de sa gourmandise. En effet, il avait négligé ce jour-là sa communion et s’était absorbé plus que de raison dans les préparatifs du repas. On dit que le sacristain ne trouvera le repos que lorsqu’on aura donné à sa dépouille une sépulture chrétienne.

Par temps clair, on entendait ces cloches fantomatiques jusqu’à Saissac ; les anciens se signaient alors et priaient pour cette âme perdue…

 

La légende du trésor.

Une autre légende évoque le trésor. D’après les habitants du coin, encore aujourd’hui, un trésor se trouve aux Tours-Nègres. Plusieurs légendes éparses courent à son sujet. On dit souvent que c’est un « trésor religieux » ; s’agit-il d’objets du culte ? Cachés par les moines ?

Par ailleurs, la tradition orale évoque le moment où l’on peut approche ce trésor. Ce serait pour la saint Denys, le 9 octobre, au beau milieu de la nuit, que le trésor serait accessible. Il paraît que certains chasseurs ou pêcheurs de la contrée se serait rendus sur place, à la date fatidique pour manger une omelette tout en attendant, pourquoi pas, quelque signe mystérieux ?

 

La vérité : un castrum de Montagne ?

Voilà la légende. Mais qu’en est-il de la vérité ?

A mon humble avis, moi qui ne suis pas historien de profession, les Tours-Nègres n’ont aucune marque qui permet de confirmer qu’il s’agit d’un édifice religieux. Bien plus, il me semble évident qu’il s’agit d’un ouvrage militaire, du genre petite forteresse de montagne.

-Sa position est particulièrement stratégique : il protège en effet un gué, point de passage très important au début du Moyen-âge, à l’époque où il n’y avait pas ou peu de ponts.

-sur le site, on remarque une structure d’ensemble qui est celle des castrums de montagne : partie basse (cour) de superficie plus importante, avec aussi un donjon escarpé, situé au sommet d’un rocher en surplomb.

 




-enfin, un élément architectural frappant : la porte romane en plein-cintre, qui nous donne peut-être un indice sur la période de construction (XI-XIIe siècles ?). Cette porte romane est en tout points semblable à celle d’un autre castrum de la Montagne noire de la même époque, celui de Roquefort aux Cammazes (Tarn).

 

Une preuve supplémentaire.

Une autre preuve du statut défensif de l’ouvrage nous est apporté par une autre observation, faite par le docteur Jacques Lemoine. Selon cet auteur, les Tours-Nègres sont visibles à la fois du château de Saissac et de Montolieu ; Ce qui voudrait dire que l’on pouvait, par un système de signaux optiques (miroir, feux), communiquer à distance. Un dispositif identique aurait existé dans la vallée du Sor, entre les châteaux de Durfort, Roquefort et Berniquaut.

Pour moi, ma conviction est faite : il s’agit d’un petit château de montagne. Maintenant, qu’est-ce qui empêche que ce château ait eu une petite chapelle où des moines venus de Montolieu, ou d’ailleurs, aient pu célébrer la messe ? Rien, évidemment.

 

Comment s’y rendre ?  

Les Tours-Nègres se trouvent sur la commune de Saint-Denys (Aude), et sont signalées sur la carte IGN bleue 2345 O On peut s’y rendre à partir du hameau de Constant, ou bien des fermes de Bérail et Canet. Il faut s’y rendre en hiver ou en automne, en évitant les périodes de croissance de blé ou des récoltes, où vous risquez d’endommager les cultures (les chemins communaux ne sont pas entretenus, il faut traverser les champs). Les agriculteurs du coin sont sympas, et parlerons volontiers avec vous de ces légendes, mais respectez leur travail !

 

Sources.

Jacques Lemoine, Le Haut-Cabardès, Carcassonne, 1955.

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