Eclipsé au XIXe siècle par Lourdes, Garaison est un ancien sanctuaire de pèlerinage. De cette affluence passée, la chapelle Notre-Dame a conservé un
ensemble unique de retables et de peintures du XVIIe siècle. L'ensemble s'offre comme un chef-d'oeuvre de l'art baroque et comme un témoignage sur le rapport de nos ancêtres au
sacré.
Poussons donc la porte de ce magnifique sanctuaire de Garaison, non loin de Mauléon-Magnoac, à la rencontre des artistes et des pèlerins de jadis, vers une époque éprise de retables dorés et
de merveilleux.
I. Naissance du sanctuaire de Garaison
La lande du bouc
Au XVIe siècle, rien n'existait à l'emplacement actuel du sanctuaire, si ce n'est une lande inculte de mauvaie réputation. Dans les croyances populaires, le lieu était considéré comme
le théâtre de sabbats et rassemblements de sorciers. Etienne Molinier dans son Lys du Val de Garaison (1646) évoque ces "montaignes où les sorciers abondent plus qu'en tout autre
lieu", ces "landes stériles et solitaires, très-propres et favorables aux nocturnes assemblées de ces malheureux supposts du Prince de la nuict".
Rien de surprenant de retrouver en ce lieu une croyance autrefois répandue dans la région de Lannemezan, celle des "lanes" (landes) maudites. L'espace sauvage des landes
était, par opposition à l'espace humanisé et domestique des champs et des villages, la résidence assignée au diable et le rendez-vous des sorciers. Près de Lannemezan, il y avait même
une "lane deu bouc", dont le nom venait de la forme animale du démon. Ce serait une erreur d'imaginer chez les hommes du XVIe siècle un amour inconditionnel pour la nature sauvage
!
Aux origines de Garaison : les miracles de la faim
Comment un sanctuaire catholique est-il venu s'édifier dans ce lieu sauvage et, qui plus est, mal famé ? La similitude avec Lourdes est frappante, tout autant
qu'avec d'autres sanctuaires pyrénéens d'ailleurs. Ici aussi, tout a commencé sur la foi du témoignage d'une petite voyante, Anglèze de Sagazan, qui dit avoir vu la
Vierge lui apparaître à trois reprises. Le récit des événements, fixés par la tradition à la date de 1515 (Marignan !), a été reconstitué à presque un siècle de distance. Voici donc
comment on racontait l'histoire au XVIIe siècle; je m'inspire du Lys du Val de Garaison d'Etienne Molinier (édition d'Auch, 1646).
Molinier (qui fut aussi un des prédicateurs les plus importants de Toulouse à l'époque baroque) a séjourné à Garaison et a interrogé les derniers témoins survivants des événements.
Ce qui est frappant dans son récit, outre les éléments merveilleux très prisés à cette époque, c'est l'insistance sur l'état de faim et d'épuisement dans lequel se trouvaient
les principaux acteurs de l'affaire, en particulier Anglèze. Les principaux épisodes du récit de Molinier ont été représentés sur les peintures du narthex de la chapelle, je les reproduis
pour illustrer le récit.
Agée d'une dizaine d'années, Anglèze gardait le bétail, une année de très mauvaises récoltes, n'ayant à manger que "quelque mourceau de pain paistry d'une paste de mestain noir, dont la
couleur faisait horreur aux yeux, et les arestes au gosier", dit Molinier dans son style imagé. Une dame vêtue de blanc lui serait alors apparue; elle dit à la bergère qu'elle était la Vierge,
qu'elle voulait combler ce lieu de ces bénédictions et qu'elle désirait qu'on construise là une chapelle. Bien sûr, on ne crut pas la jeune fille.
Troisième apparition (peinture du narthex)
Lors de la troisième apparition, le pain noir d'Anglèze est changé en pain blanc, et le coffre de la famille est entièrement rempli de pains blancs, miracles qui auraient décidé les consuls et
les habitants de Monléon à croire à la réalité des apparitions.
Le miracle des pains (peinture du narthex)
Plus tard, grâce à une pension payée par la commune de Monléon, Anglèze entre comme religeuse au couvent de Fabas (1543). Elle y serait morte centenaire.
Les débuts du sanctuaire
D'après Molinier, une première chapelle est construite, qui dure jusqu'en 1523. A cette date, un deuxième édifice la remplace, orné de peintures et achevé vers 1540. Toujours selon Molinier,
l'affaire était fructueuse pour les Consuls de Monléon qui s'appropriaient les deux tiers des bénéfices du pèlerinage... La statue de Notre-Dame de Garaison, une pietà,
daterait du XVIe siècle. Lors des guerres de religion, selon la légende et une peinture du narthex, elle aurait été jetée dans le feu sans être endommagée par un capitaine huguenot,
un certain M. de Sus.
C'est au début du XVIIe siècle, dans le sillage de la Contre-réforme, que le sanctuaire se développe, sous l'impulsion de deux hommes. D'abord Pierre Geoffroy, curé de Garaison en
1604, qui soustrait le pèlerinage à l'administration laïque des consuls, avec le soutien de l'évêque d'Auch, Léonard de Trappes; il organise le pèlerinage. Ensuite vient Godefroy de
Roquefort, élu premier chapelain de Garaison à la mort de P. Geoffroy. L'époque commence où Garaison va se souvrir de retable et de peintures...
II. Garaison, sanctuaire baroque
Une partie des bâtiments date des XVIe et XVIIe siècle. Toutefois, c'est principalement le mobilier et les peintures de ce dernier siècle qui nous intéresseront ici.
Le décor sculpté de la chapelle (1635-1666)
On doit sa conception à Gabriel de Pélissier, doyen de la faculté de théologie de Toulouse et chapelain de Garaison. Son exécution, quant à elle, est due à l'atelier de Pierre Affre.
-le retable du maître-autel
Dans cette oeuvre commencée en 1635, les historiens de l'art ont retrouvé le style caractéristique de l'atelier de P. Affre: personnages statiques, au visage
impassible. Le retable traduit un programme iconographique particulièrement cohérent et pensé. Au centre, directement au-dessus du tabenacle, la Vierge de Pitié du XVIe siècle.
Ensuite, un ensemble de personnages de l'Ancien et du Nouveau Testament en rapport avec la destinée de Marie. Au dessus de la Pietà, Joachim et Anne, parents de la Vierge, et la Trinité
couronnant Marie. A gauche, Jaël, libératrice de son peuple, comme Marie la mère de Jésus qui libère le monde du péché ; Isaïe, qui annonça la conception de la Vierge
(Ecce virgo concipiet), convoqué ici pour justifier le dogme catholique de la virginité de Marie ; Sarah, autre cas biblique de maternité "hors normes". A droite, Saint
Jean, fils "adoptif" de la Vierge; Judith, autre libératrice, tenant la tête d'Holopherne ; Noémi, symbole de la mère éplorée.
-le décor de la nef (v. 1640)
Les colonnes de la nef de la chapelle étaient jadis dissimulées par des piliers de
bois, avec douze niches à coquilles abritant les statues des apôtres. Ces piliers sont aujourd'hui conservés dans l'église paroissiale de Monléon-Magnoac. On y garde aussi les 4 évangélistes
et plusieurs des vertus théologales (foi, espérance, charité) et cardinales (justice, force, tempérance, force), qui formaient sans doute le décor d'une chaire monumentale.
Des restes de peintures du XVIe siècle sont visibles par endroits dans la nef et les chapelles collatérales de Notre-Dame de Garaison, notamment l'histoire de Salomé et Saint-Jean
Baptiste.
-bas-relief des Miracles de la Vierge (v. 1635-1640)
Sans doute l'oeuvre la plus humaine. Les personnages y ont du
mouvement et des visages expressifs, qu'il s'agisse d'Anglèze, de la Vierge, ou des paysans à l'air émerveillé ou perplexe qui contemplent la scène, dont les visages feraient presque parler de
sens de l'humour de la part du sculpteur !
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Bas-relief dit "des Miracles de la Vierge" Apparition à la bergère |
Détail : les visages expressifs des bergers témoins de la scène |
-retable de l'Immaculée Conception (1666)
Inspiré d'une gravure de Montano, il illustre les litanies de la Vierge : étoile du matin, miroir de patience, tour de David, fontaine du Salut, jardin clos, etc.
-retable de la fuite en Egypte (même date)
Plein de mouvement : les personnages sont en marche et la tunique de Joseph vole au
vent.
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Retable de la fuite en Egypte | Retable de l'Immaculée conception |
Les peintures du narthex (v. 1699)
Elles datent de l'extrême fin du XVIIe siècle. Ce sont elles que l'on voit en premier en entrant, et bien évidemment elles sont faites pour frapper l'imagination du pèlerin. Une peinture
centrale représente le soleil, entouré de la citation "In sole posuit tabernaculum suum" ("Il a posé sa tente dans le soleil"- Psaume XVIII-6), citation appliquée à la divinité). Cet étrange
soleil a deux yeux, quatre nez, deux bouches, comme pour montrer que rien n'échappe à Dieu...
De petites scènes, la quasi-totalité des médaillons, illustrent les miracles et les guérisons advenus dans le sanctaire, où à la suite d'un voeu. Le
Lys du Val a fourni la source de la plupart de ces peintures. Certaines petites scènes sont extrêmement dramatiques (noyades), d'autres représentent naïvement les
signes de diverses maladies (pieds gonflés par la gangrène, vomissements...). Bien des pèlerins venaient sous l'Ancien Régime pour obtenir leur guérison ; c'est d'ailleurs ce mot qui
aurait fini par donner Garaison.
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Voeu d'un religieux |
Voeu d'un mari Sa femme vomit du sang à l'arrière-plan |
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Homme (Pierre Gaye) sauvé de la noyade |
Voeu des consuls et jésuites ruthénois en temps de peste |
D'autres peintures sur les arcades notamment, gardent la mémoire de processions solennelles faites au sanctuaire. Certains pensent au vu de ces peintures que
les pèlerins finissaient leur trajet à genoux, lorsqu'ils arrivaient en vue de la chapelle...
Narthex: détail des arceaux avec procession de pénitents
Enfin, une minorité de ces peintures exprime une certaine rancune ou virulence à l'égard des Protestants, comme le veut l'époque et le lieu : nous sommes aux portes du Béarn, terre huguenote
et les guerres de religions ne sont terminée que depuis 70 ans environ...
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Un "hérétique" converti |
M. de Sus "hérétique" jette la statue dans le brasier |
Les peintures de la sacristie
La sacristie au riche décor
Il s'agissait du lieu de réunion des chapelains de Garaison. On y voit une représentation de la pentecôte et des instruments de la passion du Christ (fouet, clous, éponge, etc.), de sa
résurrection (tombeau vide).
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Sacristie, Saint Jacques pèlerin | Sacristie, Ange portant le linge de Véronique |
Bref...
Ce sanctuaire nous place d'emblée dans l'époque baroque, qu'il s'agisse du talent de ses sculpteurs ou de la religiosité naïve, profondément éprise de merveilleux, de nos ancêtres.
C'est vraiment une visite à faire.
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Suggestions bibliographiques
G. Cavagnac, A. Surre-Garcia, M. Dieuzaide, Baroque Pyrénéen, Privat, 1996
Etienne Molinier, Le Lys du val de Garaison, Auch, 1646 (première édition, 1630)
Musée des Augustins, L'âge d'or de la sculpture. Artistes toulousains du XVIIe siècle. Somogy, 1996
X. Recroix, Les peintures du nartex de Notre-Dame de Garaison, Pau; 1982
Visites guidées
Juillet-Août, 10 h 30 en semaine, 14 h 30, 16 h 30 tous les jours.