On a beaucoup écrit sur l'origine du
Carnaval de Limoux, des fécos et de leur danse. La tradition orale fait provenir leur costume de celui des meuniers. D'autres interprétations voient l'origine de la lente procession des
fécos dans le piétinement des raisins lors des vendanges. Hypothèses aussi séduisantes qu'invérifiables...
Que nous disent l'histoire et les archives ?
Témoignages historiques et archives : meuniers et carnavals violents sous l'Ancien Régime
On dit souvent que le carnaval de Limoux fut fondé par les meuniers. En effet, lorsque les tenanciers des moulins payaient la redevance à leurs seigneurs sous l'Ancien Régime, ils se
livraient à des réjouissances. On rapporte qu'en 1582, l'adoption du calendrier grégorien fit coïncider la date de la fête avec le Mardi Gras. Gaston Jourdanne voyait dans cet
événement l'origine de la "partie des meniers", cette manifestation au cours de laquelle les meuniers munis des attributs de leur profession venaient sur la place centrale de Limoux, suivis
de hautbois, fifres et tambours.
Toujours est-il que les documents d'archives, s'ils ne disent pas grand chose des fécos, témoignent en tout cas de l'ancienneté et de la vigueur des traditions carnavalesques à Limoux.
Un texte de 1605 évoque un défilé nocturne au son du tambour
et du violon, avec déjà des danses sous les couverts. Cette année-là, la manifestation dégénéra rapidement en bagarres au cours desquelles les consuls de la ville
furent malmenés par la population ! L'esprit contestataire était déjà là...
Au XVIIIe siècle, des documents évoquent aussi des carnavals houleux. Les métiers s'affrontaient (tisserands contre commerçants), comme les classes (violon des riches contre
tambourin des pauvres). Fin janvier 1787, une dispute s'élève entre jeunes gens de bonne famille et garçons chapeliers. Dans un tel climat, les autorités municipales sont souvent contestées,
recevant parfois injures et jets de pierre. En 1757, une tête de cheval en décomposition acompagnée d'un placard injurieux est retrouvée à la porte de la maison de Bonnet, avocat, premier consul
de la ville.
En 1832, la tradition du défilé des meuniers existe encore, ainsi qu'en témoigne un texte de Labrousse-Rochefort cité par Georges Chaluleau :
"Ces prétendus meuniers sont les jeunes gens les plus riches qui, habillés de blanc, sur de beaux chevaux noirs, portent au lieu de sacs de farine des sacs de
bonnes et fines dragées, qu'ils jettent galamment à toutes les dames qui garnissent les croisées ouvertes..."
Au fil du temps, costume du meunier aurait donné celui des fécos, le fouet du meunier la carabène, les dragées les confetti...
Le Carnaval à l'époque contemporaine
Il renaît dans l'après-guerre. En 1946 est constitué le comité carnavalesque, qui concentre trois ou quatre sorties autour du Mardi-Gras. En 1957, une commission spéciale de Carnaval regroupe
trois bandes. D'autres apparaissent et, en 1974, dix bandes échelonnent leur sorties entre l'Epiphanie et le dimanche précédant les Rameaux. Le nombre de ces sorties est limité par les
dimanches disponibles entre ces deux dates. Ces bandes du comité sont actuellement au nombre de 10 : L'Aragou, les Arcadiens, les Blanquetiers, las Fennas, Monte-Cristo, le Paradou, le
Pont-Vieux, le Tivoli, les Aïssables, les Anciens.
Au début des années 1970, véritable petite révolution, la bande des Jouves quitte le comité de Canrnaval, et décide de sortir le samedi au lieu du dimanche. Le cas fera école et plusieurs bandes
hors-comité apparaîtront, qui défileront elles aussi le samedi : Les Infialurs d'Achille, les Bronzinaïres, les Pitchouns, les Maïnatches, les Remenils, les Estrangers, las Piotos, les
Droles, les Encantados...
Le café de la Terrasse, repaire des
Infialurs d'Achille
Titoulet, légende vivante du carnaval...
Cette année 2010, le carnaval de Limoux rend hommage à Titoulet, c'est-à-dire Pierrot Clarac, 80 ans, le plus ancien carnavalier en activité, membre de la bande du Pont-Vieux. Chef de cave
retraité, il incarne par son parcours deux passions de Limoux, la fête et la blanquette. La bande du Pont-Vieux est une des plus traditionnelles, utilisant l'ancien costume de pierrot noir, mais
Titoulet voit d'un bon oeil les diverses évolutions : arrivée d'une première femme dans sa bande il y a trente ans, développement des bandes du samedi. Il regrette simplement la
disparition de la chine, cette pratique qui consistait pour les goudils à prendre à part une personne du public et à révéler des détails de sa vie privée... Titoulet n'hésite pas à
proposer avec humour une culture d'un genre tout particulier:
"Faire une plantation de carabènes dans la cour de la sous-préfecture, pour que l'Etat soit garant de leur qualité, et faire especter la parité homme-femme pour la musique du carnaval et pour
le plaisir auditif et visuel des carnavaliers".
Bref...
Voilà quelque notes éparses sur ce phénomène vivant, une tradition vivante admirable et à laquelle on souhaite une longue vie !
Lire
Georges Chaluleau, Carnaval de Limoux au coeur, Loubatières
La Dépêche, 2 mars 2010 (article sur Titoulet).