Le site non officiel du Pays Cathare et du Languedoc (Aude, Haute-Garonne, Tarn, Ariège). Plongez dans la nature, l'histoire et la légende du Sud.
Si
vous visitez pour la première fois la cathédrale de St-Bertrand de Comminges, vous serez sans doute surpris d’y trouver un crocodile naturalisé, fixé sur le mur par des anneaux de fer.
Qui l’a amené là ? Pourquoi figure-t-il dans une église ?
Enquêtons !
La carte.
Cette carte postale représente le fameux crocodile de St-Bertrand. Elle est des éditions Théojac (Limoges), sans date. Voici sa légende (au dos de la carte-je conserve l’usage étrange des majuscules de l’original) :
« Le reptile légendaire de Saint-Bertrand (XIIe siècle).
Ce Crocodile fut, selon la légende, le Monstre diabolique terrassé par Saint Bertrand de sa Crosse épiscopale, de même que St Michel terrassa le dragon – En réalité on ignore sa provenance- il s’agit plus vraisemblablement d’un ex-voto apporté jadis d’Orient par un pèlerin qui avait fait un vœu au sanctuaire de Saint-Bertrand ».
L’histoire de Saint-Bertrand.
L’évêque du Comminges (XIe siècle) fait en effet parti des saints saurochtones (tueurs de serpents), à l’égal de Saint Michel ou Sainte Enimie. D’après la légende, il existait un monstre avant son arrivée, tapi dans la vallée de Labat-d’Enbès. Il imitait le vagissement des enfants pour attirer ses victimes et les dévorer. Pour en débarrasser le pays, Saint Bertrand alla à sa rencontre, armé de son seul bâton épiscopal. Le monstre s’avança vers lui la gueule ouverte… Le saint toucha sa tête du bout de sa crosse, et le reptile devint plus doux qu’un agneau. Il suivit docilement Bernard jusqu’au seuil de la cathédrale, où il mourut.
Ce récit semble bien symboliser tout simplement, la lutte du bien contre le mal...
L’ex-voto: hypothèse.
B. Duhourcau suppose que ce crocodile naturalisé aurait été en fait rapporté par un croisé du Comminges, qui serait parti en Terre sainte à la suite de Saint Louis et de Thibaud de Champagne.
Un autre pistes : les sciences naturelles au Moyen-âge ?
Plus vraisemblablement, même si la piste de l’ex-voto n’est pas à négliger, il faut néanmoins rappeler que, jadis, lorsqu’il n’existait pas encore de musées ou de cabinets de curiosité, les curiosités d’histoires naturelles étaient conservées dans les églises. A Prats-de-Mollo, la côte d’une baleine est toujours plantée sous le proche de l’Eglise. Il existait à St-Pierre de Toulouse un cadavre de Baleine qui fut transporté en 1790 au muséum d’histoire naturelle de la ville.
Souvent, ces vestiges faisaient l’objet d’interprétations édifiantes. Il faut rappeler qu’au Moyen-âge, et même jusqu’au XVIIe siècle, la zoologie n’existait pas encore. Elle faisait place aux bestiaires, ouvrages dont la tradition remonte au Physiologos, compilation grecque des premiers siècles de notre ère. Par la suite, les bestiaires médiévaux ont proposé diverses interprétations théologiques des propriétés légendaires des animaux.
Le crocodile ou cocatrix des bestiaires médiévaux.
Or, il apparaît que, dans ces textes, le crocodile, parfois appelé cocatrix, est le symbole du mal incarné, opposé à l’hydre, autre animal aquatique bénéfique. Voici ce que dit de lui le Bestiaire de Pierre de Beauvais (début du XIIIe siècle) :
« Il existe une bête dans les eaux du Nil appelée hydre. Physiologue dit qu’elle éprouve une grande haine pour le crocodile : l’hydre possède cette nature et cette coutume que lorsqu’elle voit le c en train de dormir le long du fleuve, elle va se rouler dans la boue, afin de pouvoir glisser plus facilement dans e gosier du crocodile. Quand celui-ci aperçoit l’hydre, il se précipite sur elle et l’engloutit toute vivante. L’hydre ainsi avalée toute vive, met alors en pièce les entrailles du crocodile, et ressort de son corps bien vivante ».
Le crocodile et l'hydre, bois original de L. Charbonneau-Lassay,
d'après un manuscrit du XIIIe siècle.
Allégoriquement, pour Pierre, le crocodile symbolisait ainsi l’enfer, et l’hydre qui le traverse le Christ (qui est descendu aux enfers pour en ressortir victorieux).
Bref…
Finalement, le crocodile de Saint-Bertrand garde son mystère. Il nous rappelle que jadis la zoologie était l’occasion de spéculations légendaires ou allégoriques diverses. La connaissance ne se suffisait pas alors à soi-même, et devait déboucher sur une prise de conscience plus générale et un enseignement moral.
De ce fait, rien d’étonnant, au final, à ce qu’on retrouve un échantillon de crocodile dans une église, même si l’on ignore qui et quand l’a amené là.
Sources.
B. Duhourcau, Guide des Pyrénées mystérieuses.
G. Bianciotto (trad. et prés.), Bestiaires du Moyen-âge (Stock).
L. Charbonneau-Lassay, Le Bestiaire du Christ.