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Le site non officiel du Pays Cathare et du Languedoc (Aude, Haute-Garonne, Tarn, Ariège). Plongez dans la nature, l'histoire et la légende du Sud.

Le crocodile de Saint-Bertrand de Comminges (31).

 

Si vous visitez pour la première fois la cathédrale de St-Bertrand de Comminges, vous serez sans doute surpris d’y trouver un crocodile naturalisé, fixé sur le mur par des anneaux de fer.

Qui l’a amené là ? Pourquoi figure-t-il dans une église ?

Enquêtons !

 

La carte.

 

Cette carte postale représente le fameux crocodile de St-Bertrand. Elle est des éditions Théojac (Limoges), sans date. Voici sa légende (au dos de la carte-je conserve l’usage étrange des majuscules de l’original) :

 

« Le reptile légendaire de Saint-Bertrand (XIIe siècle).

 

Ce Crocodile fut, selon la légende, le Monstre diabolique terrassé par Saint Bertrand de sa Crosse épiscopale, de même que St Michel terrassa le dragon – En réalité on ignore sa provenance- il s’agit plus vraisemblablement d’un ex-voto apporté jadis d’Orient par un pèlerin qui avait fait un vœu au sanctuaire de Saint-Bertrand ».

 

L’histoire de Saint-Bertrand.

 

L’évêque du Comminges (XIe siècle) fait en effet parti des saints saurochtones (tueurs de serpents), à l’égal de Saint Michel ou Sainte Enimie. D’après la légende, il existait un monstre avant son arrivée, tapi dans la vallée de Labat-d’Enbès. Il imitait le vagissement des enfants pour attirer ses victimes et les dévorer. Pour en débarrasser le pays, Saint Bertrand alla à sa rencontre, armé de son seul bâton épiscopal. Le monstre s’avança vers lui la gueule ouverte… Le saint toucha sa tête du bout de sa crosse, et le reptile devint plus doux qu’un agneau. Il suivit docilement Bernard jusqu’au seuil de la cathédrale, où il mourut.

 

Ce récit semble bien symboliser tout simplement, la lutte du bien contre le mal...

 

L’ex-voto: hypothèse.

 

B. Duhourcau suppose que ce crocodile naturalisé aurait été en fait rapporté par un croisé du Comminges, qui serait parti en Terre sainte à la suite de Saint Louis et de Thibaud de Champagne.  

 

Un autre pistes : les sciences naturelles au Moyen-âge ?

 

Plus vraisemblablement, même si la piste de l’ex-voto n’est pas à négliger, il faut néanmoins rappeler que, jadis, lorsqu’il n’existait pas encore de musées ou de cabinets de curiosité, les curiosités d’histoires naturelles étaient conservées dans les églises. A Prats-de-Mollo, la côte d’une baleine est toujours plantée sous le proche de l’Eglise. Il existait à St-Pierre de Toulouse un cadavre de Baleine qui fut transporté en 1790 au muséum d’histoire naturelle de la ville.

 

Souvent, ces vestiges faisaient l’objet d’interprétations édifiantes. Il faut rappeler qu’au Moyen-âge, et même jusqu’au XVIIe siècle, la zoologie n’existait pas encore. Elle faisait place aux bestiaires, ouvrages dont la tradition remonte au Physiologos, compilation grecque des premiers siècles de notre ère. Par la suite, les bestiaires médiévaux ont proposé diverses interprétations théologiques des propriétés légendaires des animaux.

 

Le crocodile ou cocatrix des bestiaires médiévaux.

 

Or, il apparaît que, dans ces textes, le crocodile, parfois appelé cocatrix, est le symbole du mal incarné, opposé à l’hydre, autre animal aquatique bénéfique. Voici ce que dit de lui le Bestiaire de Pierre de Beauvais (début du XIIIe siècle) :

 

« Il existe une bête dans les eaux du Nil appelée hydre. Physiologue dit qu’elle éprouve une grande haine pour le crocodile : l’hydre possède cette nature et cette coutume que lorsqu’elle voit le c en train de dormir le long du fleuve, elle va se rouler dans la boue, afin de pouvoir glisser plus facilement dans e gosier du crocodile. Quand celui-ci aperçoit l’hydre, il se précipite sur elle et l’engloutit toute vivante. L’hydre ainsi avalée toute vive, met alors en pièce les entrailles du crocodile, et ressort de son corps bien vivante ».

 

Le crocodile et l'hydre, bois original de L. Charbonneau-Lassay,
d'après un manuscrit du XIIIe siècle.


Allégoriquement, pour Pierre, le crocodile symbolisait ainsi l’enfer, et l’hydre qui le traverse le Christ (qui est descendu aux enfers pour en ressortir victorieux).

 

Bref…

 

Finalement, le crocodile de Saint-Bertrand garde son mystère. Il nous rappelle que jadis la zoologie était l’occasion de spéculations légendaires ou allégoriques diverses. La connaissance ne se suffisait pas alors à soi-même, et devait déboucher sur une prise de conscience plus générale et un enseignement moral.

 

De ce fait, rien d’étonnant, au final, à ce qu’on retrouve un échantillon de crocodile dans une église, même si l’on ignore qui et quand l’a amené là.

 

Sources.

 

B. Duhourcau, Guide des Pyrénées mystérieuses.

G. Bianciotto (trad. et prés.), Bestiaires du Moyen-âge (Stock).

L. Charbonneau-Lassay, Le Bestiaire du Christ.

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W
Merci! Exactement ce que je cherchais
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A
<br /> Si je me souviens bien il y a aussi un crocodile naturalisé dans la collégiale d'Oiron (2 Sèvres)<br /> <br /> <br />
Répondre
A
<br /> <br /> Il faudra que je me penche sur la question, je vous remercie infiniment de cette précision. D'après le site de la mairie, le crocodile d'Orion était entouré d'un<br /> mythe -celui d'un animal vaincu par un chevalier saurochtone- et d'un rite - on grattait ses machoires pour préparer une potion.<br /> <br /> <br /> Cordialement.<br /> <br /> <br /> <br />
C
dire que j'ai visité l'église et ne l'ai pas vu!je ne connaissais pas ce blog avant!zut!<br /> <br /> amitiés et bonne chance!<br /> crocus
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A
<br /> Merci Crocus ! Je sais que vous avez un faible pour les animaux. Il me semble que le crocodile est encore sur place, mais qui sait ? Peut-être quelque personne trop bien intentionné a fini par<br /> enlever ce témoignage des croyances d'autrefois...<br /> <br /> <br />
F
Je ne sais pas qui a donné ce nom à cette sculpture, sans doute ses découvreurs à cause de l'analogie de son apparence avec la tarasque de Tarascon, si ce n'est qu'il ne s'agit pas du même animal et Noves n'est pas si loin de Tarascon ! Ne vous étonnez pas de mes jours de silence avant de venir répondre, je n'ai pas encore l'habitude des réponses commentées, jusqu'à présent il ne s'agissait pour moi que de déposer un commentaire et rarement de "dialogue". Mais il est vrai que c'est une forme de correspondance, et j'ai du conserver le rythme de la correspondance qui voyage par papier...
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A
<br /> <br /> Oui, peu importe le temps, c'est la réponse qui compte ! A bientôt et merci pour ces renseignements.<br /> <br /> <br /> <br />
F
Bonsoir, <br /> Je venais parler ici des articles sur la mort en spectacle et des réponses "personnelles" que j'apporte au débat et qui n'ont valeur que de simple avis, et cet article m'a interpelée car j'y retrouve le thème de la tarasque, autre animal fabuleux qui fut amadoué par une sainte,et qui continue à être l'objet de festivités à Tarascon. On avance l'hypothèse qu'il aurait pu s'agir aussi d'un crocodile rapporté en tant qu'objet de curiosité et se serait échappé d'une barque. Lors de ma recherche sur la différence entre la tarasque de Noves et celle de Tarascon, j'avais trouvé cet intéressant article sur la différente origine des mythes, l'un plutôt celtique du chevalier terrassant la bête et l'autre chrétien, d'amour de l'animal dompté et non tué. La tarasque de Noves n'a absolument rien à voir avec ces mythes puisqu'il s'agit d'une sculpture gauloise. Merci pour cet article qui m'interpelle aussi sur un autre aspect, les similitudes d'intérêt de nos ancêtres dans des lieux et des époques différentes et notamment dans le sud de notre pays.
Répondre
A
<br /> Fardoise, c'est très intéressant, et j'ai depuis longtemps envie de faire un article sur la Tarasque. J'aurais une question à vous poser: sait-on qui a nommé la scupture gauloise de Noves<br /> "tarasque", et à quelle époque ? Je serais ravi d'avoir la réponse... Merci d'avance !<br /> Je vous poserai sans doute d'autres questions, vous êtes une vraie cultureuse éclectique, et même un puits de science.<br /> <br /> <br />