Le site non officiel du Pays Cathare et du Languedoc (Aude, Haute-Garonne, Tarn, Ariège). Plongez dans la nature, l'histoire et la légende du Sud.
Les déserts sont des lieux de
solitude. Leur silence et leur calme retranche l’homme de l’agitation et du bavardage, le met face à lui-même. Sans échappatoire. C’est pourquoi les déserts sont des lieux propices à la
méditation, au rêve, à l’interrogation…
La Montagne noire est un lieu verdoyant, et pourtant, on y trouve un désert. Il est situé au-dessus de la commune de Dourgne (Tarn). Bien sûr, ici, ni dunes de sable, ni chameau, ni oasis : mais un lieu solitaire, battu par les vents. Quelques arbres rabougris émergent de loin en loin d’une vaste prairie d’herbes folles. Et au bout du plateau, une chapelle, simple et belle…
Retour sur un lieu fertile en beautés, en légendes et en mystères.
Petite visite du plateau.
Ici, le visiteur pressé et l'amateur de spectaculaire risquent fort d’être déçu. En revanche, celui qui essaie d’écouter le vent, de lire les signes du paysage et des monuments peut y trouver un terrain fertile en découvertes.
Le désert de Saint-Ferréol forme un plateau, qui s’étend au-dessus de la commune de Dourgne. On est ici dans un paysage collinaire et vallonné, plus que dans une véritable montagne. Le plateau culmine à 598 mètres en sa partie est, descend à 543 mètres en sa partie ouest. Il est presque entièrement entouré de bois de feuillus et de résineux. Naguère, les bergeries toutes proches déversaient sur le plateau des troupeaux entiers de moutons.
Le sol est constitué de gneiss. On a ici un accident hercynien, c’est-à-dire des roches très anciennes qui ont été surélevées lors de la formation des Pyrénées.
Tout n’est qu’herbes folles et chemin caillouteux. Au milieu des prairies figurent des pierres tantôt sombres, tantôt claires. Certaines d’entre elles ont été sculptées par un patient travail d’érosion. D’autre, plus rugueuses, évoqueraient presque quelque scorie… Les géologues distinguent en effet deux bandes de pierre sur le plateau, du calcaire métamorphique et de la roche dolomitique.
Enfin, il y a le panorama. Une vue qui porte à plusieurs kilomètres, sur les villages de la plaine : Lagardiolle, Soual, Montgey, l’abbaye d’En Calcat, et peut-être même Labruguière. La nuit, en ce lieu désert, le spectacle est féerique, offrant comme une tapisserie de lumières diverses…
Histoire du plateau.
En ces lieux passe une route très ancienne, appelée Camin Ferrat ou Chemin saissaguais. C’était la route qui réunissait Soual (dans la plaine) à Saissac (dans la montagne noire). Il est possible que ce chemin soit en fait le vestige d’une voie antique. On l’appelait aussi Camin dels Roumieus : c’est-à-dire, chemin des « Romains » ou pèlerins.
L’histoire de ce lieu est liée à deux saints locaux, Stapin et Ferréol, aux pèlerinages et édifices qui leur sont liées.
-la chapelle ancienne.
Une première chapelle existait au XVIe siècle, qui fut détruite pendant les guerres de religion par les habitants de Puylaurens. Elle fut sans doute reconstruite au XVIIe siècle, puis abandonnée au cours de la révolution. A nouveau remise sur pied au XIXe siècle, elle était en ruine dans les années 1930. Aujourd’hui, il n’en reste rien, une simple croix rappelle son emplacement.
-la chapelle actuelle.
La chapelle actuelle a été construite à plusieurs mètres de l’ancienne, par les moines d’En Calcat. Elle fut élevée à la suite d’un vœu collectif des habitants de Dourgne pendant la deuxième guerre mondiale : ceux-ci avaient promis de construire une chapelle si les habitants du villages étaient épargnés par le conflit. Elle fut achevée à la libération par les bénédictins d’En Calcat et consacrée en 1947 à Saint Ferréol.
Le pèlerinage
Depuis plusieurs siècles, un pèlerinage est attesté dans ces lieux à la date du 6 août, en l’honneur de Saint Stapin. On apporte de Dourgne la relique du saint. Une messe a lieu dans la chapelle sur place, après laquelle on procède à la bénédiction de la plaine, depuis la croix de fer toute proche (croix de Montcapel).
Comme l’existence historique de Stapin a été remise en cause au XVIIIe siècle, l’Evêque de Lavaur a essayé d’interdire le pèlerinage, quelques années avant la Révolution. Mais les habitants de Dourgne ont résisté pour que le culte du saint soit reconnu. Ils le vénèrent toujours aujourd'hui.
Les genouillades.
Les rituels étaient différents autrefois. Suivant un très ancien usage, les malades venaient apposer leurs jambes dans les
creux de certaines roches situés sur le plateau, les genouillades. Ils croyaient que ces roches étaient sacrées, car creusées par les jambes de saint Stapin en prière, et qu’elles avaient un
pouvoir guérisseur.
Il est vrai que la ressemblance est frappante: sur la photographie ci-dessous, on croirait vraiment voir
l'empreinte laissée par les jambes de l'ermite agenouillé !
Trois légendes liées au plateau.
Elles montrent que parallèlement aux pèlerinages, le lieu était fortement investi par l’imaginaire.
La première légende concerne Stapin, et les roches bicolores du site :
« Tandis que Satan retiré sur les roches sombres, ne cessait de le harceler, le saint se tenait sur les roches de couleurs blanches comme dans un camp retranché. C’est là qu’il se livrait à la prière, c’est là qu’en s’amollissant sous son poids ces rochers auraient pris et gardé la trace des différentes positions de son corps ».
Une deuxième légende sur saint Ferréol :
« Il était charretier ; un jour, il gravissait la montagne en conduisant une charrette traînée par des jeunes veaux. Il était plein de vin et arrivé au sommet, il tomba sur le rocher
que le démon faisait enfoncer sous ses pas, comme un sol boueux. La charrette et les animaux s’enfoncèrent aussi. Mais saint Ferréol ayant promis de changer de vie, un jeune homme vêtu de blanc
passa au-dessus des cornes des bêtes et saint Ferréol put continuer sa route ».
Une dernière légende sur les âmes du Purgatoire (une rumeur situait un cimetière en ces lieux) :
« Une nuit, une vieille femme allant chercher un peu de bois sur le chemin de la bergerie, était arrivée près de celle-ci. Et en ramassant son bois et en ficelant son fagot, elle aperçut en se relevant une procession se dirigeant vers la chapelle et qui passa près d’elle. Arrivée à sa hauteur, elle aperçut une belle femme toute vêtue de blanc et lui demanda en patois :
-Pouvez-vous m’aider à charger mon fagot, madame ?
L’autre lui répondit :
-comment voulez-vous que l’on ait des forces quand l’on n’a plus de corps ? »
Bref…
Un lieu étonnant, objet d'un pèlerinage très ancien, enchanté par des légendes diverses… Pour moi, un magnifique
espace pour se détendre, se ressourcer, réfléchir un peu. Songer à nos ancêtres, si proches et si loin de nous...
Bibliographie.
Cet article est avant tout fondé sur les études magistrales de Bertrand de Viviès, déjà évoquées dans d'autres articles. Les ouvrages de Vincent Ferras sont également d'un grand
intérêt.