Il est une étrange chapelle exilée sur une montagne, au milieu des pâturages de l'Iraty, en pays Basque
(commune de Mendive). Elle est située dans un lieu sauvage, à une distance certaine des premières habitations. On l'appelle la Salbatore Kapera (chapelle Saint-Sauveur). Trappue,
massive, elle semble à peine émerger du sol.
Evoquons les légendes et l'histoire de ce haut lieu.
I. Un lieu légendaire.
Si elle fut construite là, ce fut sans doute, très naturellement, pour conjurer les dangers de la montagne, réels ou mythiques...
Autour d'elle, un paysage grandiose et austère de montagnes, de forêts et de brumes. Bien sûr, le temps n'est pas toujours particulièrement clément, les orages peuvent se montrer terribles,
et sans doute est-il de bon aloi de demander la protection du ciel.
Pourtant, dans les mentalités anciennes, la montagne était bien plus qu'un milieu hostile : c'était le domaine du démon, le grand bouc noir qui y organisait ses aquelarres, mieux
connues dans nos contrées sous le nom de sabbat.
En effet, dans les anciennes légendes basques, ces montagnes fourmillaient de présences hostiles, étaient un espace tabou où il ne fallait pas s'aventurer sans bonne raison. Les
forêts étaient le repaire du terrifiant Basa Jaun, le seigneur de la Montagne, ou des mauvais esprits et autres diables qui se déchaînent à la tombée de la nuit.
Est-ce pour conjurer le péril de ces peronnages maléfiques que la chapelle fut entretenue et entourée de croix ? Près de là, un oratoire (photo ci-dessous) préservait naguère la statue de
l'étrange Xaindia, la jeune fille qui osa défier le diable en personne...
Evoquons les deux légendes attachés à ce lieu étrange, où semble encore plâner le souvenir des croyances, des démons et des génies d'antan.
La légende de Xaindia.
Autrefois, dans la région, vivait une jeune servante, Xaindia. Un jour, un homme de la maisonnée oublia un outil dehors- on dit que c'était une houe à deux dents, en basque
haitzurrocha. Toutes les femmes de la maison refusèrent de se risquer dehors pour aller rechercher l'outil: elles savaient bien qu'il ne faut pas transgresser l'interdiction absolue de
sortir à la nuit tombée...
Seule Xaindia, accepta de sortir, sous la promesse d'une somme d'argent. La transgression et la cupidité de la jeune fille allaient toutes deux être bien mal récompensées...
La jeune fille prit le chemin de la montagne, y trouva la houe. Tout semblait se dérouler sans encombre, jusqu'à ce que minuit sonne au clocher du village. A ce moment, Xaindia fut enlevée en
l'air par des démons invisibles.
Lorsqu'elle passa au-dessus de la maison, elle lança la houe qui tomba dans la cheminée. Mais les démons emportaient toujours plus haut la malheureuse, vers les sommets...
C'est alors qu'elle aperçut en contrebas la chapelle Saint-Sauveur.
Elle se rappela de faire une prière. Les malins esprits perdirent alors tout pouvoir sur elle et la déposèrent doucement sur une montagne toute proche.
Une statuette polychrome fut réalisée à l'effigie de la jeune fille, et trôna longtemps dans un oratoire proche de la chapelle (ici, croquée par J.-C. Pertuzé). Depuis, on l'a heureusement mise à
l'abri !
Pour Olivier de Marliave, le mythe traduit le fait que dans la tradition basque, le jour appartient à l'homme et que la nuit est le domaine à part entière de Gaueko, être légendaire plus ou
moins identifiable au diable. En sortant la nuit, la jeune servante a trangressé l'équilibre des forces mythiques et en a été punie... Plus généralement, on peut dire que les montagnes et les
lieux sauvages, dans la mentalité ancienne, sont le séjour désigné des êtres démoniaque.
Le chandelier du Basa Jaun.
On voit dans la chapelle saint-Sauveur un chandelier de forme
très rustique (voir dessin de Pertuzé ci-contre), dont l'origine est expliquée par une légende.
Jadis, il y a environ 900 ans, un homme vola le chandelier d'or du Basa Jaun, l'homme sauvage au corps couvert de poils, figure centrale des légendes basques. Le génie le poursuivit jusqu'à la
chapelle, où il ne put rentrer: il craint en effet la croix et les symboles religieux.
Depuis, le chandelier est toujours là. On prétend qu'il devint noir lorsque les Espagnols mirent le feu à la chapelle. On a essayé de l'apporter à Mendive, mais on n'a pu y parvenir...
II. Eléments sur l'histoire de la chapelle.
Par-delà les légendes, que nous apprend l'histoire de cette chapelle ?
L'édifice est fait d'un appareil de calcaire et de grès. La construction primitive de la chapelle est certainement romane. On peut le déduire de la forme semi-circulaire de
l'abside de l'église. Des ouvertures romanes, étroites, sont encore visibles. La chapelle Saint-Sauveur est mentionnée aux XIIe et XIIIe siècles. Elle était alors dans la dépendance de l'ordre
des Hospitaliers. Elle fut restaurée dans le deuxième quart du XVIIIe siècle par le curé de Béhorléguy, Jean Oxoby-Indart. Ce dernier fit inscrire son nom, avec la date de 1727, au-dessus de
la porte ouest (photo ci-dessous).
Le mobilier.
Il confirme l'ambiance démoniaque qui imprègne le légendaire. Outre le chandelier du Basa Jaun, on voit là une statue de Saint-Michel pourfendant le démon. La montagne était autrefois le lieu de
tous les dangers...
Le chemin de croix est particulièrement étonnant, dans sa beauté fruste. Il est formé de treize stations. Chacune d'entre elle est faite d'une colonne supportant un cube de pierre. ce
dernier est à son tour surmonté d'une croix de fer.
Si on regarde de plus près le socle des croix, on aperçoit sur certaines l'inscription "estacionea" (station en basque), le numéro de la station et le signe du lauburu, dit aussi "croix
basque".
La dernière station est représentée par une croix de bien plus grande dimension (photo ci-dessus). On y aperçevrait une représentation du Crucifié, ainsi que le soleil et la lune (moi, je n'ai
rien vu).
Bref.
Que de beautés et de mystères recèle cette chapelle, sous sa modeste couverture d'ardoises !
Sources.
Article de Barbara
Pécheux, sur le site "Patrimoine de France".
Bernard Duhourcau, Guide des Pyrénées mystérieuses.
Olivier de Marliave, Panthéon Pyrénéen et Trésor de la Mythologie Pyrénéenne.
Pertuzé, Les Chants de Pyrène, t. 1.