L’Angleterre a Shakespeare et son Songe d’une nuit d’été, avec Puck, Obéron et le cortège des fées… L’Allemagne a son Walpurgisnachttraum, avec ses sorcières chevauchant le mont Brocken.
Mais qui a chanté les anciens dieux des Pyrénées ? Qui étaient-ils ?
L’archéologie et l’ethnologie nous donnent des commencements de réponse. Evoquons ces quelques éléments arrachés au livre de l’oubli, à l’occasion de cette nuit de la Saint-Jean dont les origines sont si mystérieuses. Qu’il nous soit donné, à notre modeste niveau, d’esquisser un « songe d’une nuit de la Saint-Jean » pour évoquer ces divinités disparues.
Petite litanie.
Erriape, Sex Arbores, Leherren, Jupiter Auctor bonorum tempestatum, Herauscorritzehe, Abellio, Fagus, Horolat, Ageio, Ilixo, Artae, Sutugius, Erge, Aereda, Agheion, Averanus, Baesert, Baïcorrix, Belco, Belisama, Erditse, Exprecenn, Dei Montes, Garus, Ilixon, Ilumber, Iluro, Iscitt, Montes Nimidae, Nymphae, Sylvanus, Tutela, Vaxus, Mit.
Et tant d’autres ! Quels dieux se trouvaient derrière ces noms étranges ?
Nomen numen.
Première constatation : ces noms de dieux, nous ne les connaissons généralement que par l’épigraphie, étude des inscriptions votives laissées sur des autels.
Qu’est-ce qu’un autel votif ? Une sorte de petit bloc de pierre sculpté, de moins de 1 mètre de haut, souvent beaucoup plus petit. Sur les côtés, on peut voir souvent la patera (assiette, plat) et le guttus (vase à libations), qui sont la représentation de l’offrande faite aux
dieux. L’inscription porte le nom du dieu, celui du dédicataire, et la formule rituelle VSLM (Votum solvit libens merito, a acquitté son vœu en
reconnaissance d’un bienfait).
La plupart de ces inscriptions datent des premiers siècles de notre ère, époque où l’influence méditerranéenne était déjà importante. La mode de ces autels est clairement romaine, selon les archéologues, mais cela n’a pas empêché que les populations locales les consacrent à des dieux dont les linguistes ont révélé que les noms étaient parfois préromains ou pré-celtes.
L’étude des dédicaces.
C’est ainsi que nous avons conservés les noms de dieux dont les noms peuvent être rattachés aux langues pré-celtiques, comme le basque. Par contre, d’autres dieux ont vu leurs noms indigènes traduits en latin ; ainsi a-t-on vu apparaître un dieu Fagus ("le hêtre") ou un Dieu Sex Arbores ("les six arbres").
Parfois, les dieux antérieurs ont été assimilés à des dieux romains. Ainsi, Leherren honoré dans le sanctuaire d’Ardiège est devenu Leherren Mars, Mars Leherren ou Mars tout court. Cela montre l’acculturation progressive des populations locales au fils des échanges avec l'Urbs et la culture latine. A Luchon, Ilixo, divinité indigène de la source, devait cohabiter avec les Nymphae, les nymphes venues d'Italie.
Les dieux topiques.
Ce qui est fascinant avec ces divinités, c’est le fait qu’elles étaient adorées dans un tout petit espace ; un sanctuaire, ou une vallée. Ce qui a permis de parler de dieux topiques (attachés à un lieu). Seul le dieu Abellion est attesté à la fois dans la vallée de Larboust, près de Saint-Béat, et dans la vallée de la Garonne. Beaucoup de dieux, comme Exprecenn à Cathervielle, Erge à Montserrier, Herauscorritsehe à Tardets-Sorholus ne sont connus que par une inscription dédicatoire unique. Ce sont des dieux « super-locaux », en quelque sorte !
On peut expliquer ainsi cet état de fait selon les archéologues de l’UTAH (Toulouse) :
« Il faut interpréter cette dispersion comme une manifestation de l’émiettement des communautés montagnardes primitives, qui avaient chacune leur divinité protectrice. »
La signification des noms.
Elle est souvent très obscure, même pour les spécialistes. Elle donne parfois lieu à des débats amusants : ainsi Camille Jullian, qui détestait Julien Sacaze, n’a pas hésité à venir à venir dans les Pyrénées pour le contredire sur un point d’épigraphie (à propos d’une certain dieu « Mit », assimilable ou non à Mithra). Le nom du dieu Herauscorritsehe a également donné lieu à des interprétations divergentes et plus pittoresques les unes que les autres : le dieu de la poussière rouge, le dieu de la foudre rouge, etc.
Tout cela pour vous dire que l’on est sur un terrain glissant. On peut donner quelques traductions, sous toutes réserves, pour ce qui n’est pas des noms latins, bien sûr. Comme on n’a aucun témoignage écrit sur le culte de ces dieux, le décryptage de leurs noms est souvent affaire d’hypothèses… Voici ce que j’ai glané çà et là.
-dieux-arbres : Fagus le hêtre, Sex arbores les six arbres. Il est à noter que les pratiques et rituels magiques liés aux arbres se sont longtemps maintenus dans les Pyrénées. Certaines photographies du XIXe siècle attestent d'un rituel prophylactique consistant à faire passer un enfant entre deux parties du tronc d'un arbre.
-dieux de la nature sauvage et des montagnes : Sylvanus, le dieu des forêts. Dii montes, les montagnes sacrées. Il est à noter que selon Marliave, Sylvain a peut-être été à l’origine de Sylvan, personnage de contes aragonais jusqu’à une époque récente, et associée à une grotte.
-divinités féminines : Diane, Horolat, Belisama. Vénus semble présente dans l’étymologie de Port-Vendres (Portus Veneris).
-dieux animaux : Baesert, le dieu sanglier ( ?). Artahe, dieu ours ou déesse ourse ( ?).
-dieux célestes : Jupiter auctor bonarum tempestatum ("auteur des bonnes tempêtes"), Herauscoritsehe « dieu de la foudre rouge » ( ?). Abellion, dieu du soleil à
rapprocher de Bel ou Belenos ( ?).
-dieux liés à l’eau et aux fontaines : Nymphae, Ilixo, Baicorrix ("dieu de la rivière -ou de la source- rouge").
-dieux associés à des métiers ou des lieux : Erriape, dont les inscriptions votives ont été trouvées en grand nombre dans une carrière à Saint-Béat. Pour les archéologues, Erriape a pu être un ancien génie de la Montagne, qui devint le dieu tutélaire des marbriers lorsque leur activité se développa.
-dieux de la fécondité (?): Aherbeltse, rapproché d'Aker-Beltz, le bouc noir, figure du diable en Pays basque.
Dieux invisibles.
Les représentations de ces dieux ne sont pas pléthore, c’est le moins que l’on puisse dire. On a parfois proposé de reconnaître un dieu dans la figure trouvée dans la fontaine de Lurbe Saint-Christau, mais ce n’est qu’une hypothèse. De même à propos du visage étrange sur la croix de Béliou. Certains auteurs ont pensé qu’il s’agissait d’un autel romain christianisé et retaillé en croix, et, à partir du nom Béliou, on supposé que la figure pouvait être une représentation du dieu Abellion, peut-être divinité solaire. Maintenant, où est la vérité ?
La persistance des anciens dieux.
Pendant des siècles, les autels votifs des anciens dieux furent pieusement conservés par les populations, et intégrés aux nouvelles églises chrétiennes. Au XIXe siècle, lorsque les archéologues voulurent les mettre dans des musées, les habitants et leurs curés protestèrent vivement. Attribuaient-ils encore une importance sacrée à ces pierres, ou y voyaient-ils un héritage ancestral ? Mystère…
Avis aux savants visiteurs.
Voilà, c’est tout ce que je peux dire sur les dieux pyrénéens à partir de mes lectures diverses. Je ne suis point spécialiste, alors de grâce, de l’indulgence. Je serai heureux qu’un historien ou un archéologue ou un passionné, s’il vient à en passer un par ici, nous donne des renseignements supplémentaires, ou des références bibliographiques.
Liens.
Archéologie : site de l’UTAH, une approche
scientifique de la question.
Légendes pyrénéennes, avec illustrations : une approche
plus ludique.