En Lozère, le Tarn s'engouffre dans les gorges étonnantes. Il baigne des chaos de rochers déchiquetés, aux formes étonnantes. Il semble que les rocs aient été convulsés dans une catastrophe
grandiose. C'est d'ailleurs ce que nous raconte la légende de Sainte Enimie et celle du Pas de Soucy.
Légende de Sainte Enimie.
Tout cela se passait aux temps sombre des Mérovigiens. A la cour du roi
Clotaire, la princesse Enimie, soeur de Dagobert, était connue pour sa beauté. Mais elle voulait consacrer sa vie aux pauvres et à la religion. Lassée des poursuites de ses prétendants, elle
demanda à Dieu de lui ôter sa beauté. Elle devint lépreuse.
Peu après, un ange lui annonça que, pour guérir, elle devait se rendre à la fontaine de la Burle en Gévaudan. Après de longues recherches, elle trouva la source dans la vallée du Tarn. Elle
se baigna alors, et se trouva miraculeusement guérie.
Mais par deux fois, alors qu'elle s'éloigne de la fontaine, Enimie est reprise des atteintes de la lèpre. Deux fois, elle se replonge dans la fontaine, est à nouveau guérie. Elle en conclut
qu'il lui faut rester en ces lieux, pour se consacrer à Dieu. Elle fait alors construire deux églises et deux monastères. Il est également dit dans la légende qu'elle apprend alors les
principes de l'agriculture et de la civilisation aux autochtones.
Le drac du Pas de Soucy.
Mais le diable, ou plutôt son avatar local, le drac, voyait d'un mauvais oeil l'oeuvre d'Enimie. Le drac était le maître des eaux. Malgré les monastères tout proches, il gardait
son emprise diabolique sur les flots tumultueux des gorges du Tarn. Le jour, il lançait sur les cultures des nuées de corneilles et des nuages d'orage. La nuit, il envoyait renards
et chauve-souris, tandis que lui-même venait tenir sa cour diabolique près des habitations humaines, au grand désarroi des habitants...
En désespoir de cause, Enimie s'adressa au ciel. Il lui fut révélé que, pour avoir la paix, elle devait d'abord vaincre le drac des gorges du Tarn.
Un matin, elle se lança donc à la poursuite du démon. Celui-ci, fuyant devant la sainte, alla chercher refuge dans les gorges du Tarn, son domaine réservé. Enimie avait du mal à le suivre en ce
paysage accidenté... En un éclair, le drac se retourna et mordit Enimie à l'épaule, mais ne put achever la sainte, brûlé par son crucifix.
Saint Ilère, évêque de Mende, qui s'était installé comme ermite dans les Gorges, avait assisté à la scène. Il ordonna aux montagnes, au rochers, aux flots du Tarn de se retourner contre le
drac et de lui barrer la route. Le drac fut alors enfoui, avec ses diablotins, sous d'énormes quartiers de rochers ! Le diable lui-même repose toulours sous le plus gros de ces rochers,
Roque-Sourde, dit-on...
Un autre rocher, Roque-aiguille, venu du sommet du causse de Sauveterre, s'était avancé au bord des gorges du Tarn, et avait demandé à Roque-Sourde s'il avait besoin d'aide pour tenir le drac.
Roque Sourde ayant répondu "non", Roque-Aiguille resta perché en haut de la falaise surplombant les gorges. Il y est toujours...
Contes del drac, ou contes du diable.
Ce combat d'un saint, d'un ange ou d'un paladin contre le drac ou le diable, qui modèle le paysage, est présent dans de nombreux endroits de notre pays d'Oc, et de France. J'en veux pour
exemple le roc du diable de Carolles (Normandie), façonné par les coups de Saint-Michel, dont Hélène m'a révélé l'existence dans un de ses commentaires passionnants. On pense
souvent que ce combat du bien contre le mal est le symbole de la christianisation d'un lieu. Voici ce qu'écrit le maire de Carolles (merci Hélène pour la citation):
"Une étonnante brèche ouvrant, dans les falaises de Carolles, un beau nuancier de verts piquetés du jaune des ajoncs et des genêts. Foin des subtilités géologiques
! La légende affirme que la vallée est un témoignage de la lutte éternelle opposant le Bien et le Mal. Au cours d'un combat avec le démon, l'archange saint Michel aurait fendu la falaise d'un
coup d'épée terrifiant. Et Satan n'aurait trouvé son salut qu'en se réfugiant derrière le rocher du Sard, appelé aussi rocher du Diable. Une version que la réalité des faits a peine à contredire.
Car tout le mérite en revient au Crapeux, ruisseau de quatre sous, dont le nom s'est changé en Lude par souci de poésie, qui a taillé son chemin à travers la roche."
Explications scientifiques de la formation du chaos (d'après le site internet des Gorges du Tarn).
"Les géologues voient dans le¨"Pas de Souci" deux principaux éboulements d'âge très différent. Le plus ancien remonte aux temps préhistoriques. Il aurait été produit par la rupture
d'une immense digue naturelle, retenant les eaux du Tarn prisonnières dans le cirque des Baumes. Le dernier au dire d'un grand nombre d'auteurs, aurait été causé par le tremblement de terre
de l'an 580 qui, d'après St Grégoire de Tours, fit tomber d'énormes rochers dans les Pyrénées, et dont la commotion s'étendit aux pays voisins. D'autres éboulements plus ou moins importants, sont
dus soit à l'action des eaux, soit aux variations de température."
La carte.
C'est la trois cent trente-et-unième d'une série sur les gorges du Tarn. On y trouve, comme sur beaucoup de cartes postales du début du siècles, un petit poème. C'est un quatrain d'octosyllabes,
d'auteur anonyme. Ce qui est étrange, c'est qu'il n'y a aucune indication d'éditeur. Il semble que la carte ait été découpée sur un carton un peu plus grand (du genre "suivez les
pointillés")
Le dos de la carte.
Ecrit apparemment par une jeune fille, Paulette, qui vit encore avec sa mère, le texte évoque les dures conditions de vie des femmes au début du XXe siècle (je ne corrige ni
l'orthographe ni la ponctuation).
"j'ai fait la lessive toute seule tu parle maman n'a pas le temps je l'ai faite en deux fois dans la lessive jeudi matin j'avais à laver la mienne on était venue me chercher chez Iniquimbert (?)
pour leur aider à laver, j'ai voulu laver la mienne avant à 8 heures j'étais à la riviere tu peux croire que ce jour-là j'avais les bras demolis. "
Bref.
Tant de découvertes et de rève dans ces images sépia, mais aussi un aperçu sur le quotidien d'autrefois... j'adore collectionner les cartes postales !
Illustrations.
La statue de Sainte-Enimie est vénérée sur place dans une grotte (du moins était, selon un guide que j'ai datant de 1955).
Le dessin représentant le drac, ainsi que la photo de la statue d'Enimie, sont extraits de cette brochure.
Sainte-Enimie. Les légendes des gorges du Tarn, de R.-M. Fagès, sans doute un ecclésiastique, puisque l'évêque de Mende a dû donner son imprimatur, daté de 1955.