Etrange chapelle que celle-là, si proche de la mer et perdue dans les pinèdes de la Clape… On y accède par une allée bordée de tombeaux, élevés à la mémoire de marins gruissanais qui sont parfois morts au bout du monde.
Le plus mystérieux, c’est le rituel du double pèlerinage qui a lieu ici les lundis de Pâques et de Pentecôte : celui des adultes, officiel, plein de dignité et de souvenir pour les marins disparus, et celui des jeunes, officieux, alcoolisé, drolatique et un rien dissipé…
Evoquons un peu l’histoire et la légende de cette chapelle. Ce faisant nous rencontreront des ex-votos classés "monuments historiques", un ermite, des jeunes filles qui menacent un saint de coups d’épingles pour avoir un mari…
Histoire de la chapelle.
En ces lieux, des moines venus de l’abbaye de Cassan (Héraut) édifièrent un prieuré au XIe siècle. En 1223, les religieux de Boulbonne rachètent le prieuré, et pour la première fois on voit apparaître le nom : Notre-dame des Auzils.
Les Auzils, ce nom mystérieux n’a pas pu mettre les étymologistes d’accord : on l’a rapproche de l’occitan auzina (chêne vert) ou auzel (oiseau), mais aussi du latin de auxiliis (« du bon secours », hypothèse la plus vraisemblable) : ainsi Notre-Dame des Auzils serait la bonne mère, « Notre-Dame du bon secours ».
La chapelle, dans sa forme actuelle, semble dater de 1635. On trouve à un certain endroit de la nef ce qui semble un remploi d’une construction précédente : deux petits personnages à la tête ronde, comme encapuchonnés et d'allure franchement médiévale.
Les ex-voto.
Ce sont, par définition, des présents faits au sanctuaire à la suite d’un vœu (généralement prononcé par un marin en danger, lors d’un naufrage, etc.).
On admire beaucoup les ex-voto « tableaux », classés aux MH. Ces peintures représentent à la fois le moment du danger, et la Vierge qui intervient. Un grand nombre d’entre eux (50) a été volé dans les années 1960. Un seul a été retrouvé et mis en place, les autres étant remplacés par des peintures murales au début des années 1980.
D’autres sont plus spectaculaires : bannières, modèles de proues de navires, petites statues de la Vierge, maquettes.
Les ermites des Auzils.
Il existait autrefois des ermites qui vivaient près de la chapelle, « depuis la nuit des temps », disent les
gens d’ici. Ils faisaient office d’accueil et de guides pour les visiteurs. Le dernier de ces ermites, Michel Cyprien, mourut en 1888. Le Conservatoire du littoral a reconstitué le
jardin et la cabane de l'ermite.
Une légende rapporte que le dernier ermite s’était creusé une tombe dans le mur de soutènement de la chapelle mais que, pour une raison ou une autre, il n’y fut pas enterré.
Le cimetière marin et le pèlerinage des adultes.
Trois pèlerinages ont lieu, dont chacun a sa finalité et son origine propre.
-le pèlerinage du Jour de Pâques, dédié aux marins disparu en mer. Ce pèlerinage aurait été instauré à la suite d’un terrible naufrage ayant eu lieu le 28 février 1797 (10 Ventôse an V), à la suite d’une tempête. L'événement est commémoré par un monument de style contemporain, à l'entrée du site (photographie ci-dessus).
-le pèlerinage de la Pentecôte, qui commémore la fin de l’épidémie de Choléra de 1835.
-le pèlerinage de fin août, destiné à s’attirer les bonnes grâces célestes avant les vendanges, moment crucial dans cette région vinicole.
Aujourd’hui, seuls les deux premiers pèlerinages semblent suivis.
L’allée des marins.
Lors de ces pèlerinages, la procession parcourt une allée qui monte à la chapelle, bordée de tombes tout au long de son parcours.
Ces tombeau vides (cénotaphes) ont des inscriptions parfois très émouvantes :
« Un père malheureux a élevé ce monument à son fils, égorgé au milieu de mers, juillet 1824 ».
« Le capitaine A. Pons, né le 30 avril 1800, commandant le brick Jean-Albert, et son fils, A. Pons, né le 11 février 1835, ont péri, sur la côte de Sicile ».
« A la mémoire de Jules Mathieu Fournier, né le 22 mai 1851, décédé à bord du Roucou, le 5 mars 1867, à 30 milles du cap Partivento, atteint par la foudre. Regrets de son père, de sa mère, de ses frères et amis. P.P.L. »
D'autres encore évoquent les guerres navales de la première guerre mondiale (photographie ci-dessus).
Elles disent les dangers de la mer et la douleur des familles.
Le pèlerinage des jeunes.
On a pu le trouver irrespectueux, par son côté alcoolisé et chahuteur. Néanmoins, il rend hommage, à sa manière, aux marins disparus.
Son déroulement est le suivant. Le même jour que le pèlerinage « officiel » des adultes, les jeunes gravissent l’allée bordée de tombeaux, s’arrêtent devant chacun d’aux comme leur aînés. Mais ici, ce n’est pas pour dire des prières, mais pour « boire un coup » devant chaque tombeau. Les tombeaux sont parfois arrosés de vins, et on feint d’être ivre plutôt qu’on ne l’est vraiment.
L’ethnologue Christiane Amiel a vu dans ce rituel une sorte de libation, d’offrande faite à l’âme des morts défunts en mer.
« Condamnées à l’errance faute de sépulture, les âmes des morts ont, plus que toutes autres, besoin de l’aide des vivants. Prières et libations se complètent dans le cimetière marin de Gruissan, facette d’un même rituel qui, en assurant le repos de ces morts, met la communauté villageoise à l’abri de leurs tracasseries ».
Le pèlerinage des jeunes ne s’arrête pas là : ils descendent ensuite de la chapelle par un autre chemin, avec arrêt dans des grottes, des falaises, tout un chemin sauvage et périlleux où il faut faire attention de ne pas se rompre le cou… On faisait un ultime plongeon dans la mer en rentrant. Manière symbolique de quitter l’espace des morts (le cimetière) pour rentrer dans le monde des vivants.
La légende de la grotte de Saint-Salvayre.
Enfin, dernière légende associée à ce lieu. Au-dessous de la chapelle des Auzils, il existe une grotte dite « de saint Salvayre », dans laquelle se rendaient jeunes gens et jeunes filles. C’était un lieu propice à l’apprentissage amoureux. Les filles y allaient pour demander un mari, en menaçant saint Salvayre d’un coup d’épingle : « Balha me un fringaire o te foti un cop de pic ».
Bref…
Un lieu insolite, à quelques kilomètres en voiture de Gruissan, dans le massif de la Clape. A ne pas manquer.
Sources.
Article publié par la municipalité de Guissan .
L’Aude, encyclopédies régionales Bonneton, « Ethnographie » (Chr. Amiel)