On sait que, depuis 1516, date de la parution de l’Utopie de Thomas More, divers écrivains se sont plus à imaginer des sociétés imaginaires. Ce que l’on sait moins, c’est que certains
ont essayé de créer des villages utopiques réels. Ainsi Voltaire à Ferney au XVIIIe siècle, ou, en pays cathare, Hervé-Louis César de la Panouse à Saint-Rome, près de Villefranche de Lauragais, à
partir de 1872.
L'utopie, ou le monde résumé en un village.
Une utopie en effet, c’est un monde clos et autarcique, un microcosme à l’image de la totalité du monde extérieur. Ainsi, la cité du Soleil, de Tommaso Campanella (début du XVIIe siècle)
nous montre une ville utopique fait de sept enceintes, au centre desquelles se trouve un temple consacré au soleil. Image de l’univers, de ses planètes (7 étaient connues à l’époque de
Campanella) et du soleil central.
Saint-Rome, village utopique réel de la fin du XIXe siècle, ne déroge pas à la règle. Mais ici, la modélisation de l’univers n’est pas astronomique, elle est géographique. C’est-à-dire que les
différentes maisons offrent un condensé étonnant de tous les styles architecturaux du monde entier, du moins une interprétation de ceux-ci en termes d’architecture occidentale. Il règne une peu
ici une atmosphère d'exposition coloniale !
Ainsi, on trouve en ces lieux une maison mauresque dont la terrasse et les fenêtres sont en arc outrepassé.
Plus loin, la maison du régisseur du domaine semble toute droite sortie d’un Vermeer : elle imite le style flamand. Elle est d’ailleurs accolée, étrange association, à une citerne
d’inspiration mauresque.
Voyage dans le temps.
Les styles architecturaux se réfèrent non seulement à la géographie, mais aussi à l’histoire de la civilisation. C’est ainsi qu’un portique monumental de style néo-classique semble référer à
l’antiquité grecque ou romaine, telle que vue depuis le XIXe siècle.
Par ailleurs, un charmant petit pavillon semble interpréter librement l’architecture de la France classique. Quand au logement du comte de la Panouse, il reproduit fidèlement le style
cossu et décoratif des demeures bordelaises de la Belle-époque, et a pris la place de l’ancien château médiéval.
Même les parties fonctionnelles du grand domaine agricole qu’était saint-Rome portent leur note de fantaisie architecturale : ainsi, sur les hangars, on trouve d’étonnants motifs en bois
représentant des animaux fantastiques.
On est donc dans la fantaisie et l’éclectisme architectural les plus débridés ! Tout ici semble tout droit sorti de l’imagination d’un Schuiten et d’un Peters (Les Cités obscures),
ou d’un architecte utopique…
Les hommes qui ont bâti Saint-Rome.
Pourquoi cette fantaisie ? Quel architecte a contruit ce lieu ? Qui a financé les travaux, qui devaient atteindre des sommes inconcevables ? Et pourquoi ?
A la fin du XIXe siècle, comme beaucoup d’endroits du Lauragais, saint-Rome était une petite bourgade agricole où tout le monde travaillait pour le comte, propriétaire des terres qui
vivait au château (ailleurs, cela pouvait être pour une riche famille bourgeoise). Le domaine a été constitué à partir de 1837 par Alexandre-César de la Panouse. Il faisait partie des nobles
légitimistes qui, sous la monarchie de Juillet, ont investi dans la terre. C’est son fils Henri-Louis César qui a agrandi le domaine et l’a entièrement reconstruit. Il aimait sans doute son
village, puisqu’il a voulu y être enterré, dans un tombeau aussi modeste que ses constructions avaient été extravagantes.
Ce personnage était un grand voyageur, qui avait couru le monde. Saint-Rome est le fruit de sa collaboration avec l’architecte Henri Vergnes.
La structure du village.
Il se découpe en trois parties principales : primo, le lotissement des estivandiers ; deuxio, le cœur du village, groupé autour de la maison du propriétaire ;
tertio, les bâtiments publics.
-Le lotissement des estivandiers est une suite de petites maisons rejetées comme en dehors du village.
-Le cœur du village regroupe les bâtiments agricoles et les maisons du personnel, autour de la résidence du propriétaire. Cette dernière est composée de la maison de maître proprement dite, d’un
fumoir dans le style des chinoiseries, d’une oragerie, d’un parc à l’anglaise. Atour d’elle, les bâtiments domestiques et agricoles : maison du régisseur et des serviteurs, écuries, remise
des voitures.
-L’espace public, formé de la mairie et de l’église, occupe une part assez réduite au regard du reste des constructions. La mairie est toute petite, ce qui s’explique aisément quand on sait que
les La Panouse s’y sont succédés, et que le véritable centre du pouvoir est en fait le château.
Un projet de société.
Saint-Rome donne une double impression. D’une part, l’organisation de lespace, comme dans d’autre petits villages du Lauragais, donne bien l’impression des hiérarchies sociales : la maison
du maître est au cœur du village, tout gravite autour d’elle. Mais, d’autre part, l’agencement révèle un souci de bien-être et de confort à l’égard des travailleurs du domaine, si bien que l’on a
pu parler, à propos de saint-Rome, de
paternalisme, terme qui me semble un tantinet trop péjoratif. On est ici dans un monde fortement marqué par la personnalité du fondateur et sa
famille, et où l’espace public (mairie, église) occupe une portion minuscule. Une alternative de droite, en quelque sorte, à l’utopisme socialiste des fouriéristes.
Visiter saint-Rome.
Un petit panneau vous indiquera comment y arriver, à partir de la RN 113, entre Toulouse et Villefranche-de-Lauragais. Le village lui-même ne se visite pas, même pas pour les journées du
Patrimoine, et on peut le déplorer. Mais vous pouvez toujours faire le tour du domaine et vous promener dans le lotissement.
C’est un endroit vraiment singulier, qui vaut le détour, et résume, dans son caractère à la fois suranné et grandiose, les idéaux du XIXe siècle. Un endroit étrange où un homme a cru à ses rêves
et les a gravés dans la pierre.
Bibliographie.
Collectif, Châteaux en Haute-Garonne, Editions Daniel Briand.