La « lanterne de Bégon » et le « A de Charlemagne »… Des appellations bien poétiques pour deux objets énigmatiques, présentés sur cette carte postale. Comme leurs noms
l’indiquent, l’un d’eux ressemble à une sorte de lanterne, l’autre à un grand triangle, ou un A majuscule.
Des reliquaires.
Quelles peuvent être l’origine et la fonction de ces objets ? Il s’agit en fait de deux reliquaires, fait pour l’abbaye de Conques (Aveyron) à la fin du XIe siècle ou au début du XIIe. Il
existait alors, sous l’abbé Bégon, un atelier d’orfèvrerie important, qui produisit nombre de riches réalisation aux formes exotiques à nos
yeux…
Le A de Charlemagne.
Une tradition, rapportée par la Chronique du monastère, concerne cet étrange reliquaire triangulaire. On dit que le père de l’Europe, le mythique empereur à la barbe fleurie, offrit à chacune des 24 abbayes qu’il aimait, un reliquaire en forme de l’une des 24 lettres de l’alphabet (à l’époque, les lettres u et v, i et j étant
confondues). Sainte-Foy de Conques, la plus brillante de ces abbayes, reçut ainsi le A, première lettre de l’alphabet…
Tout ceci relève de la légende pure et simple. L’on sait que Charlemagne n’est jamais venu à Conques, même si son abbaye fut fondée par son fils Louis le Pieux. Mais il est
représenté sur le tympan de Conques, et était sans doute une figure de fondateur prestigieuse, de nature à impressionner les visiteurs…
Une belle légende.
Donc, malgré son nom, le A n’est point de Charlemagne. On sait que ce reliquaire ne remonte pas avant l’époque de l’abbé Bégon (à la tête du monastère de 1087 à 1107). Soit plus de deux cent cinquante ans après Charlemagne ! On lit en effet sur l’objet cette inscription :
ABBAS ORNAVIT BEGO RELIQUIASQUE LOCAVIT
L'abbé Bégon a fait fabriquer –cet objet- et y a placé des reliques).
L’atelier d’orfèvrerie de Bégon.
En effet, des études ont montré que l’atelier d’orfèvrerie créé par l’abbé Bégon fut actif de la fin du XIe siècle au début du XIIe. Pour autant, à l’époque de Bégon, les techniques d’orfèvrerie
n’avaient guère évolué depuis l’époque carolingienne. Il s’agissait avant tout de construire d’abord le squelette du reliquaire, son « âme » en bois, puis ensuite d’y plaquer une fine
feuille d’or ciselée.
La monstrance.
L’âme de bois était parfois évidée afin d’accueillir les reliques ; ou bien celles-ci étaient placées dans une monstrance où elle était en évidence. C’est le cas du A de
Charlemagne ; la relique était placée à l'angle supérieur du A, derrière un demi-globe en cristal de roche (bien visible sur la photo
ci-dessus).
La Lanterne de Bégon.
C’est également un reliquaire-monstrance. Les reliques étaient placées dans la partie supérieure de l’objet, où elles étaient visibles derrière dans une sorte de cage de verre hexagonale. Le
reste du reliquaire étant en argent. Il fait 42 centimètres de haut, et renferme les reliques de saint Vincent.
Mausolée ou lanterne des morts ?
Pourquoi ce nom et cette forme de lanterne ? D’après J.-Cl. Fau, la lanterne de Bégon marque l’influence de l’architecture sur l’orfèvrerie.
Sa forme rappelle les mausolées de l’Antiquité, et peut-être davantage les lanternes des morts, ces constructions ornés d’un fanal que l’on allumait la nuit, dans les cimetières, en hommage aux
défunts. La Lanterne de Bégon en serait une reproduction miniature.
L’aspect architectural est également visible avec les colonnettes de la partie supérieure du reliquaire, et le couvercle conique qui imite un toit, avec des bandes représentant des tuiles,
successivement dorées et argentées. Une sorte de petite maison ou de sépulcre en réduction, en quelque sorte…
Les médaillons de la lanterne.
Si l’on s’attache aux détails, sur la lanterne de Bégon, on remarquera une riche iconographie. Le socle possède trois médaillons, dont l’un représente Dieu avec l’agneau sur ses genous, l’autre le christ, et le troisième un personnage qui combat victorieusement un lion. On pourrait croire qu’il s’agit de Samson, mais la légende nous révèle que c’est David :
SIC NOSTER DAVID SATANAM SUPERAVIT
Ainsi notre David a vaincu Satan.
Le lion est ici le symbole du diable, vaincu par David, ancêtre et symbole du Christ. Ce médaillon,
finement sculpté, n’est sans doute pas un travail local.
Bref…
Ces deux objets qui nous paraissent si riches et étranges à la fois nous ramènent au Moyen-âge, où la
possession de reliques était une question de survie pour les abbayes. C’était en effet le seul moyen d’attirer des pèlerins en grand nombre.
Au fur et à mesure des dons, pierres précieuses et ornements divers étaient parfois ajoutés aux reliquaires. D’où l’aspect composite de telles pièces…
La lanterne de Bégon et le A de Charlemagne figurent encore aujourd’hui dans le trésor de l’abbaye de Conques, en Aveyron.
Source.
Carte postale ancienne (édition G. Florens).
Jean-Claude Fau, Conques, Zodiaque, 1973 (photo du médaillon de la lanterne).