Une montagne magique surplombe la Haute vallée de l’Aude et les vignobles du Fenouillèdes. C’est un pic du nom de Bugarach, mais tout le monde en Occitanie dit le Pech. Le pic a pris son nom du petit village éponyme logé à ses pieds. Autrefois, il s’appelait Pech de Tauzé. Bugarach vient peut-être de l’occitan buc, qui signifie cime.
Cette montagne est un lieu très célèbre qui a inspiré de nombreuses légendes. Parmi celles-ci, la plus intéressante semble être celle d’un mystérieux ermite qui aurait logé jadis en ces lieux. Il y a aussi des histoires vraies, comme celle de ces Bugarachois du XVIIIe siècle qui ont ramené une industrie prospère dans la région. Mais mettons-nous en marche vers la montagne, couronnée de rochers battus par les vents…
La naissance de la montagne.
Le premier mystère, c’est comment cette montagne de plus de 1200 s’est élevé en ce lieu où les altitudes moyennes ne dépassent pas 600 à 700 mètres. Quelle force colossale a-t-elle pu la
soulever ? Il y a deux réponses une mythique, l’autre scientifique…
Les nains Bug et Arach.
L’histoire se passe en un temps immémorial, celui des anciens dieux. Ni la Montagne noire, ni le pic de Bugarach n’existaient encore. Le vent de Cers (vent du Nord glacial, comme le Mistral)
désolait la plaine et empêchait la culture de la vigne. La fée Nore et les nains Bug et Arach se rendirent compte de la situation et décidèrent de se plaindre à Jupiter. Pour mieux se faire
entendre des oreilles célestes, Bug monta sur le dos d’Arach. Mais Jupiter, qui était du genre sauvage, fut scandalisé que du menu fretin vienne troubler sa tranquillité… C’est pourquoi il
changea les impudents solliciteurs en montagne… La fée Nore devint le Pic de Nore, alors que Bug et Arach formèrent le pic de Bugarach… On peut voir les lutins Bug et Arach représentés sur
une jolie illustration de Pertuzé, dans le Panthéon pyrénéen.
Une légende pas très authentique ?
L’histoire vaut le coup d’être racontée pour sa drôlerie, mais elle ne semble guère authentique ni ancienne. Les nains sont des personnages du folklore des pays germaniques, il n’y a pas, à ma
connaissance, d’autre légende les concernant en Occitanie. Quand à la présence de Jupiter, elle indique que la légende est de fabrication récente. Aucune légende d’Occitanie ne mentionne les
dieux païens, si ce n’est sous la forme christianisée de saints ou de personnages légendaires, d’après les spécialistes des croyances populaires. Et
puis, mélanger un dieu grec avec des nains germaniques, c’est un peu bizarre, non ?
Un peu de géologie… mais pas trop !
Si ce ne sont pas Bug et Arach qui ont édifié la montagne, qui est-ce donc ? Il faut remonter à l’époque tertiaire, lorsque la plaque ibérique a heurté le socle européen. Le choc des deux
plaques a été à l’origine de la formation des Pyrénées toutes proches. Sous l’effet de ce cataclysme, voici ce qui s’est passé à Bugarach, selon le site internet du village :
« Sous la pression venue du sud, coincées entre la plaque ibérique et le socle européen,
les roches sédimentaires se plissent, se cassent et se chevauchent : une lame de Calcaire jurassique (-135 millions d'années) vient se poser sur les Grès et les Marnes du Crétacé (-15 millions
d'années). L'ordre des couches géologiques ou strates est ainsi inversé! »
Un paysage tourmenté
Ce sont donc des forces telluriques incroyables qui ont formé le pic. Elles ont modelé un paysage étrange, à la fois désolé et magnifique. Partout des rochers déchiquetés et nus affleurent. A
certains endroits, ils semblent avoir des formes de vagues, comme s'ils n’avaient pas opposé plus de résistance que l’eau aux mouvements de l’écorce terrestre…
Le vent de Cers souffle lui aussi très violemment, et a comme sculpté les rochers situés en haut du Bugarach. Ainsi, une sorte de porche de rocher s’ouvre sur le vide, dans un paysage vertigineux
proche du sommet.
La légende de l’Ermite.
Ce n’est pas tout. Par d’étranges phénomène météorologiques, Bugarach se nimbe bien souvent d’un manteau de brume, qui s’illumine de soleil et semble transfigurer le haut de la montagne. C’est vraiment un lieu naturel grandiose.
Tout faisait de cette étrange montagne, si évocatrice pour l’imaginaire, un lieu d’élection pour les légendes. Celle de l’ermite est la plus évocatrice. On raconte que jadis, sur le Bugarach, vivait un ermite hirsute et chevelu, venu là pour rencontrer Dieu…. Et la légende semble avoir une certaine vérité historique. En effet, Bugarach n’est pas loin d’un vrai ermitage, celui de Galamus, occupé jusqu’en 1936. Il est possible que l’ermite de Galamus soit venu jadis jusqu’à Bugarach pour quêter sa subsistance. Voici ce que dit l’ethnologue Daniel Fabre à ce sujet :
« Vêtu d’un grand manteau de bure, l’ermite de Galamus arpentait régulièrement es terroirs environnants quêtant et vendant des produits de sa cueillette pour assurer sa subsistance ».
Une cérémonie perpétuait naguère le souvenir de ces ermites. Au village de Bugarach, le jour du mercredi des Cendres, un des jeunes du village se déguisait en ermite hirsute, chevelu et barbu.
Accompagné du groupe des jeunes, il allait de porte en porte pour demander des victuailles. Malheur à ceux qui refusaient. Ils étaient alors aspergés d’un mélange d’eau et de cendres
mêlées.
Le village de Bugarach.
Descendant du pic, on arrive au charmant petit village de Bugarach. L’histoire du lieu est sans doute très riche. Le château ruiné de Bugarach serait d’époque XVIe siècle, d’après les Monuments historiques. A la Renaissance, les régions de montagne comme Bugarach étaient le lieu de refuge pour les protestants, dans cette région majoritairement catholique. La région était pauvre, et les habitants devaient souvent s’engager dans l’armée pour survivre sous l’Ancien régime. Sous le règne de Louis XV, un contingent d’habitants de Bugarach alla ainsi se battre en Haute Silésie (Pologne). Là, ils furent fait prisonniers et obligés de travailler à faire des chapeaux. Libérés et rentrés chez eux, ils introduisirent l’art de la chapellerie dans la Haute vallée de l’Aude. Au XIXe et au XXe siècles, l’industrie chapelière y fut florissante, notamment à Espéraza où un musée est aujourd'hui consacré à cet art de faire les couvre-chefs.
Bref…
Un lieu riche à tout point de vue, celui de l’histoire comme celui des légendes. Si bien que la beauté et la complexité d’un tel lieu ont échauffé les cerveaux de certains, notamment des amateurs
de soucoupes volantes et la clique de pseudo historiens de Rennes-le-Château… Tapez « pic de Bugarach » dans Google, et vous aurez une bonne occasion de rire… Je n’en dirai rien ici,
pour ne point médire. Je préfère laisser à mon lecteur le souvenir de légendes plus belles et authentiques, en tout cas, de mon point de vue…
Lien
Cartes postales anciennes de Bugarach et Galamus.
Sources.
Daniel Fabre « Figures de la fête », in Aude, éditions Bonneton.
Marliave et Pertuzé, Panthéon Pyrénéen.