Suite de notre série sur les usages et les légendes de l'eau dans la Montagne noire. Aujourd'hui, pénétrons dans
le gynécée: le lavoir, espace réservé des femmes... Ames sensibles, tournez les talons !
Lavoir à Laviale-Castans,
81.
Une eau canalisée dans les villages...
Jadis, l'eau était canalisée dans les villages, pour servir aux usages domestiques. Dans la société d'autrefois, les tâches étaient rudes et la répartition des tâches entre les sexes
une (triste ?) réalité. Dans les villages, l'eau, venue d'une source toute proche, se déversait en trois lieux : le lavoir, l'abreuvoir, la fontaine. La fontaine servait à tous. L'abreuvoir
était le domaine de l'homme, qui y conduisait les bêtes. Et le lavoir...
Le lavoir.
C'était en effet l'espace des femmes, où elles venaient faire leur lessive. A l'origine, le lavoir était une simple pierre inclinée donnant sur une rivière... On utilisait parfois
aussi à cet usage une planche en bois, amovible. Les lavoirs bâtis que l'on voit partout en Montagne noire ne remontent pas avant le début du XIXe siècle. Leur construction a été rendue
nécessaire par l'augmentation des populations villageoises et citadines au cours de ce siècle : en effet, on imagine mal un point d'eau unique servir pour abreuver les bêtes et laver le linge,
dans un lieu densément peuplé...
Lavoir aux Escudiès, près Arfons
(81)
On construira des lavoirs, en béton, jusque dans les années 1950. Le lavoir a parfois souvent un toit pour protéger de la pluie. Il est alors couvert de cuiles canal ou d'ardoises, avec des
poutres de chêne ou de châtaignier. La maçonnerie est en pierre locale, gneiss ou granite, et protège le lavoir sur trois de ses côtés.
Structure d'un lavoir: les deux bassins.
A l'intérieur du lavoir, on trouve généralement deux bassins, dont l'un, plus petit, reçoit directement l'eau. C'est celui qui sert au rinçage et au petit linge. Entre les deux bassins, une barre
de bois suspendue, qui permet d'égoutter le linge. Le second bassin, consacré au lavage, possède des plans inclinés pour permettre le savonnage et le brossage.
Il faut imaginer les lessives par toutes les saisons, et tous les temps... "Tant plan l'ivèrn coma l'estiu, leas bugadièras van al riu" (Les lavandières vont au ruisseau, hiver comme été).
Les deux bassins du lavoir des
Escudiès.
Jouer du battoir et de la langue : un monde féminin ?
Le complément naturel du lavoir, c'est l'abreuvoir. dans la société rigide de jadis, la femme allait laver le linge au lavoir, pendant que l'homme allait mener les bêtes à boire à
l'abreuvoir... On conçoit le soulagement que fut l'arrivée des machines à laver pour nos pauvres aïeules ! Jadis, les femmes pouvaient passer la journée au lavoir, en y mangeant à
midi. Seuls les enfants étaient admis dans cet espace, pas les hommes. Les langues pouvaient se délier... ce qu'était le café pour les hommes, le lavoir l'était pour les
femmes. Le dicton disait d'ailleurs, un poil misogyne : "Lengut coma una bugadièra" (Bavard comme une lavandière).
Dans cet espace régnaient les lavandières professionnelles (bugadieras en occitan). Elles lavaient le linge des "riches", des notables et des bourgeois. Financièrement indépendantes,
elles étaient souvent jalousées des femmes du commun... qui ne se gênaient pas pour les déchirer à coup de langue.
Les femmes allaient souvent au lavoir en poussant une brouette remplie de linge, ou bien elles le plaçaient dans un baquet. Au-dessus du tas de frusques et autres, une plache à laver, le battoir,
la brosse, le savon.
Interdits liés aux préjugés sexuels.
Le lavoir, espace féminin, n'échappe pas aux diverses superstitions et interdits, souvent sexistes, que l'inconscient collectif assigne aux femmes. Beaucoup de femmes ne lavaient pas pendant
la menstruation, de peur, croyaient-elles, de tomber malades ! Souvent, c'était le groupe qui empêchait la femme réputée "impure" d'entrer dans le lavoir, afin que l'eau de la source ne
soit pas souillée.
Autres interdits.
Il existait d'autres interdits, de nature religieuse. Lors de certaines fêtes, il était formellement déconseillé de laver son linge, de peur de "laver son propre linceul" (jeu de mot en occitan
sur le drap, qui se dit lençol dans certaines régions). Dans le Lauragais, la Sainte-Agathe était une de ces occasions. Mais il
y avait aussi la semaine sainte et la Toussaint.
Bref...
Un lieu donc à la fois utilitaire, mais aussi symptomatique du rôle des sexes dans l'ancienne société, et des croyances attachées au féminin.
A suivre.
Dernier épisode des articles sur l'eau en Montagne noire : le sources et les fontaines.