Les femmes fatales fascinent...
Si beaucoup sont des mythes littéraires forgés par les romanciers, d'autres ont réellement existé. Violante de Bats du Château fut l'une d'elles. Par amour pour elle, des figures respectables de la vie Toulousaine, un étudiant, un professeur de théologie et deux juristes perdirent toute notion des principes qu'ils devaient incarner et se changèrent en vulgaires meutriers en l'an 1608...
Qui était donc cette quasi-contemporaine de la fictive Milady de Winter ? Etait-elle coupable de ce que
l'on commit en son nom ?
Son histoire nous est connue par diverses sources écrites, dont un article du Dictionnaire Historique et critique du grand philosophe d'origine ariégeoise, Pierre Bayle. Mais c'est dans la relation même de son juge, Guillaume de Ségla, parue en 1613 sous le nom d'Histoire tragique que nous trouvons un récit détaillé des événements, tels que la justice d'alors a pu les reconstituer.
Le belle Portugaise
Nous ne savons finalement pas grand-chose de la belle elle-même, sinon qu'elle était d'origine portugaise. L'austère ouvrage de Ségla, plus préoccupée d'exactitude juridique et de citations latines que de pittoresque, ne nous en apprend pas davantage. Avait-elle un léger accent ibérique, la beauté brune des Mauresques, ou la blondeur des descendants des Wisigoths ? Impossible de le savoir. On ne peut que lui supposer un charme hors du commun.
Elle avait connu un premier mariage avec un espagnol, Sébastien de Bats du Château. Bientôt le mari mourut, et la voici jouissant à Toulouse de la situation enviable de veuve, la seule qui laissait un peu de liberté aux femmes dans ce début du XVIIe siècle. La belle tient donc salon, et s'entourne d'admirateurs. Les "mignardises" féminines (Ségla) et le beau langage, voilà qui suffit à enjôler les hommes souvent plus légers que bien des femmes...
Et Violante n'est pas avare de ses charmes. Elle accordait à ses amants des rendez-vous discrets dans des
lieux fort divers : bois, couvents isolés, maisons de complices... Etait-elle une femme libre, ou une courtisane de haut vol ? Difficile de juger, 402 ans après les faits.
Gerrit van Honthorst, Joyeuse compagnie (1623), Staatsgallerie, Schlesseim.
Quatro para una
Violante n'hésita pas à prendre quatre amants. En termes de géométrie amoureuse, ce n'est plus un triangle, ni même un carré, mais plutôt un pentagone...
Etait-ce conscient de part ou pas ? En tout cas, l'échantillon masculin représentait toute la diversité des notabilités d'une ville de province d'Ancien Régime. Il y avait les gros poissons : Pierre Arrias Burdeus, prêtre de l'ordre augustin et estimé professeur de Théologie à l'Université de Toulouse, et François Gairaud, vénérable sexagénaire, puissant conseiller au Sénéchal de Tholose (ancien nom de Toulouse). Puis, venait le menu fretin, loin d'être désargenté tout de même : François Esbaldit "praticien" (sorte d'avocat ou de juriste) et Antoine Candolas "escholier" (étudiant), le benjamin de la joyeuse bande. La belle marquait une préférence pour Gairaud - le plus puissant et peut-être le plus attaché à elle - et surtout pour Arrias qui, d'origine espagnole, était presque son compatriote. Ces deux-là voulaient l'épouser, mais ce fut bien la Camarde qu'ils étreignirent...
Un mari trop peu complaisant
Dans une ville de Province en cette aube du siècle de Louis le Grand, les relations extra-conjugales deviennent vite dangereuses : ces personnes de qualité ne sont point à l'abri d'une grossesse, ni d'un scandale redoutable. La discrétion commandait aux amants de Violante de trouver à la belle un mari complaisant, si possible caduc.
Henry Terbruggen, Le couple mal assorti (1623), collection privée.
On pensa avoir découvert la perle rare en la personne de Pierre Romain, avocat de Gimont. "Boiteux et difforme", d'une laideur socratique et pauvre de surcroît, il ne risquait guère de faire de l'ombre aux quatre amants de la belle, ni de faire des vagues : on pourrait facilement l'acheter. Certes, il demeurait assez loin, mais l'on pourrait toujours le faire venir à Toulouse, en temps utile afin de jouir à nouveau de la galante compagnie de Violante. Ce couple bien mal assorti fut marié en mai 1608.
Hélas pour nos quatre comploteurs, les meilleurs plans viennent à échouer... Violante, habituée au luxe, trouve sa nouvelle demeure bien "souffreteuse" et s'en plaint amèrement, d'autant plus qu'elle y est tenue sous clef par le mari jaloux... Malgré les sollicitations de Gairaud qui promet à Pierre Romain de lui donner davantage de pratique à Toulouse qu'il n'en a jamais eu à Gimont, le barbon refuse de déménager et devient un obstacle sérieux aux desseins amoureux de nos comploteurs. Obstacle dont il faut se débarasser.
L'assassinat
Il s'avère que Romain avait la peau aussi dure que Raspoutine. Les quatre amants lui firent envoyer de Toulouse du poison, il s'en porta comme un charme. Il fallut donc se résigner à en venir aux mains pour se défaire du fâcheux, si possible avec l'avantage du terrain...
Le plan était machiavélique. Ce fut peut-être Violante qui attira en juillet 1608 son mari à Toulouse, sous prétexte d'intenter une action judiciaire contre son père, en vue de récupérer une partie de sa dot. L'homme de loi, François Gairaud logea Romain, pour mieux surveiller sa victime. La soir du 8 juillet, Gairaud emmena Romain en promenade en compagnie de Candolas, l'amant étudiant. Au retour de la balade, Candolas, feignant de partir en avant pour ouvrir la porte de la maison, prévient en réalité Esbaldit, troisième sigisbée de Violante qui se tenait caché avec des spadassins, près de l'église des Pénitents Gris. Puis il se retire à son tour.
Gairaud rentre donc seul avec Romain. Lorsqu'ils passent devant l'église, une partie des spadassins met Gairaud à l'abri tandis que l'autre accable Romain de dix-sept coups de couteau....
Artemisia Gentileschi, Judith décapitant Holopherne (1611-1612), Musée National de Naples.
Une machine judiciaire implacable
Un Capitoul, informé du crime, entreprend de rechercher les coupables sur-le-champ.
Esbaldit, qui est sottement resté près du lieu du crime, est fait prisonnier mais se déclare innocent et sait tenir sa langue.
F. Gairaud joue les victimes : il prétend avoir été attaqué par des voleurs masqués. Il pousse même la duplicité jusqu'à écrire à Violante une lettre dans laquelle il s'engage à poursuivre les assassins de son mari, et à participer officiellement à l'enquête sur la mort de son cher "ami" P. Romain. Comment ne pas croire un homme aussi éminent ? Ces mensonges donneront la change aux Capitouls, un certain temps seulement...
Quant à Burdeus et Candolas, il prennent peur et s'enfuient dans une gabarre sur la Garonne (14 juillet). Après diverses pérégrinations à Tonneins, puis Milhau, ils se rendent à Nîmes, où il se font protestants (28 juillet). Or fuir, c'est avouer son crime...
Du milieu à la fin de juillet, les Capitouls ordonnent des prises de corps contre Arias, Violante, Candolas et Esbaldit. Violante est amenée à Toulouse dès le 21 juillet. Les autres ne tardent pas à tomber dans le filet, yè compris Burdeus qui tente de déjouer les poursuites en arguant de sa nouvelle appartenance religieuse, qui lui permet de réclamer des juges protestants devant la Chambre de l'Edit de Castres. En vain : les Capitouls sortent de leur chapeau un article qui interdit le recours aux juridictions protestantes à qui n'a pas professé la religion réformée depuis plus de six mois.
Le procès
Arrias Burdeus fut le premier jugé, fin novembre 1608. On porta comme preuve contre lui diverses lettres, en particulier les des lettres d'amours écrites à Violante, où il l'appelait "mon âme", "mon soleil", et le témoignage d'une femme qui les avait vus lui et Violante "en l'action" [sic] dans un bois près de Launaguet. Circonstances aggravantes pour l'époque, le sacrilège - il aurait "abusé" de Violante dans un confessionnal - et l'apostasie : il avait abjuré le catholicisme. Burdeus est condamné à mort et décapité.
Le témoignage de Burdeus accuse Esbaldit et Gairaud : ce dernier est immédiatement exclu de l'enquête à laquelle il participait en qualité de rapporteur et interrogé à son tour. L'accusation contre Gairaud paraît d'autant plus vraisemblable aux Capitouls qu'il avait une réputation de Dom Juan : "il estoit enclin à l'amour", ainsi que dit Ségla, bien qu'âgé de 66 ans (âge considérable à l'époque).
On fit usage de la question (torture) sur le pauvre vieillard, qui tint bon. Toutefois, affaibli par la faim (on le laissa 24 heures sans manger), et conduit devant un tableau de la Passion du Christ (cérémonial utile pour instiller un sentiment de culpabilité), il finit par craquer et révéler la participation de Candolas, Esbaldit et Violante au meurtre. Le 12 février, il est condamné à mort. Le 13 février, Candolas suit le même chemin, et Esbaldit le 14.
La fin de Violante
Violante est appelée devant la justice à son tour, et malheureusement pour elle, la note va être salée...
Sa comparution est le morceau de bravoure de la narration de Ségla, et je ne résiste pas au plaisir de citer ici un bel échantillon de son style moralisateur et misogyne, mais dont les périodes sont si bien pesées :
"Voicy la belle Violante qui vient à la catastrophe de cette sanglante tragédie, comme en estant l'argument et le subject. Elle se presente non point avec ses ris et mignardises qui servoient d'appas à ses amans : Mais avec un visage hideux et espouvantable pour les crimes d'impudicité, d'adultere, d'inceste sacrilege, trahison, meurtre et assassinat dont elle est accusee, et presque convaincue tout ensemble."
En effet, nous sommes à une époque où les magistrats se mêlent de morale autant que de loi, et "l'impudicité" n'est pas le moindre des griefs retenus contre elle. Sa relation avec un prêtre est également une circonstance aggravante. Ségla est très sévère avec Violante, ne doutant pas un instant de sa participation active à l'assassinat, sur le seul motif de ses rapports intimes avec les principaux meurtriers. Son mobile aurait été le mécontentement en ménage avec un mari pauvre et laid, qui refusait de déménager à Toulouse. Condamnée à la décapitation le 16 février 1609, elle échappe de peu à l'étranglement et au bûcher que certains juges particulièrement cruels voulaient lui faire subir...
En conclusion...
Une histoire aussi monstrueuse que fascinante, ou simplement "tragique" selon le terme consacré par les écrivains de l'époque... Elle a tout du bon polar où, l'occasion d'un crime, se révèlent les vices cachés d'une société, ceux notamment de ses notabilités apparemment irréprochables. On ne sait ce qui étonne davantage : est-ce la rouerie et la lâcheté des criminels qui se coalisent à cinq pour tuer un seul homme ou la sévérité impitoyable des juges ? On mesure à la fois en quoi notre époque est à la fois semblable et dissemblable de ce début du XVIIe siècle...
Source
Guillaume de Ségla, Histoire tragique et arrests de la Cour de Parlement de Tholose [...], A Paris, Chez Nicolas de la Caille, 1613.
Les images de tableaux d'époque sont extraites de la splendide Web Gallery of art, à visiter absolument. N. B. Le portrait en tête d'article ne représente pas Violante, dont aucune image à ma connaissance n'a été conservée, mais une dame de son époque.
Liens
Texte intégral de l'ouvrage de Guillaume de Ségla sur le site de l'Université de Toulouse
Note d'un article du Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle, consacré à l'affaire